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Afghanistan:  “La dernière caravane” de Roland et Sabrina Michaud/ Ph. Rochot

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 16 févr. 2020
  • 5 min de lecture

L’Afghanistan leur colle à la peau comme le Vietnam collait à celle de Lucien Bodard. Roland et Sabrina Michaud nous ont longtemps fait rêver avec leurs photos d’Afghanistan des années 70 à un moment où la paix royale s’imposait des frontières de l’Iran à celles de la Chine: bozgachis endiablés, vieillards dignes et fiers, paysages grandioses aux abords des lacs azur de Bandi Amir, ombres majestueuses des grands bouddhas de Bamyan, intacts et dominateurs.


(c) Zeppelin / + image de Une..

Quand à l’âge de 90 ans ils sortent un livre intitulé “La dernière caravane”, on se demande ce qu’ils peuvent apporter de nouveau, d’autant qu’ils n’ont pas remis les pieds en Afghanistan depuis cette période. De plus, l’ouvrage paraît sans images, ce qui peut surprendre de la part de cet illustre couple de photographes. Mais notre déception est bien vite surmontée par la qualité du récit. Il ne s’agit pas là du simple carnet de notes d’un explorateur racontant ses étapes, ses états d’âme, ses nuits dans le désert, ses crevaisons, ses rencontres avec les populations du genre “comment peut-on être Afghan ? “. C’est un véritable ouvrage d’ethnologie que nous laissent Roland et Sabrina Michaud.


Sabrina et Roland Michaud en dédicace pour “La dernière caravane” à l’Atelier galerie photographique Taylor José Nicolas.

J’en retiens par exemple un portrait de Kaboul bien senti: “Enfermée dans son cadre de montagnes pelées, la ville respire l’air vivifiant de ses 1700 mètres d’altitude et offre en permanence le spectacle de ses foules variées où se côtoient toutes les ethnies du cœur de l’Asie.”

Les Michaud aiment observer les détails de la vie quotidienne: “L’hiver est aussi la saison des cerfs-volants, omniprésents dans le ciel de la ville. Les “goudiparanbas”, mot à mot “les joueurs de poupées volantes” sont des passionnés de combats dans les airs dont le but est de sectionner avec le fil coupant de leur cerf-volant, celui des adversaires…Le Kaboul des années 60 est une ville aussi étonnante qu’attachante, un musée vivant de traditions disparues ailleurs… Ici un badaud, trop pauvre pour s’offrir de la viande, se contente pour calmer sa faim, de renifler le fumet s’exhalant du braséro d’un marchand de brochettes, en mangeant son pain. Exaspéré par ce manège, celui ci prétend lui faire payer l’odeur”. Ou encore: “se perdre en sachant que tous les chemins mènent à la mosquée et que celle de Sharpur, baptisée mosquée bleue par les étrangers à cause de son dôme de faïence d’azur, permet toujours de se retrouver.”


Mais le vrai voyage se déroule au delà de la capitale afghane. Dans ce récit ethnologique et historique, Roland et Sabrina Michaud suivent une caravane de ces superbes chameaux de Bactriane, dans le territoire mystérieux et interdit du Wakan, cette bande de terre de 280km de long et de 20km de large, qui culmine à 5000 mètres d’altitude et sépare ce qui fut le territoire colonial britannique, de la Russie des tsars. Les Michaud ont découvert que dans l’hiver afghan, quand les températures descendent au dessous de -20 degrés, les caravanes empruntent le fleuve gelé pour éviter les cols chargés de neige et infranchissables. Beau fil conducteur pour un reportage destiné au National Geographic qui les aidera financièrement dans cette entreprise.


(c) Zeppelin /

Quelques décennies plus tard, le photographe Olivier Fölmi reprendra ce thème dans son livre “L’école au bout du fleuve” où les enfants des montagnes du Ladakh empruntent aussi un fleuve gelé pour se rendre à l’école en Inde après 15 jours de marche. Mais avec les Michaud, nous sommes en 1967. Pour se rendre en Afghanistan, la 2CV est sans doute le moyen le plus économique pour un jeune couple assoiffé d’aventure. Ils utiliseront ce véhicule mythique pour une première expédition, puis le remplaceront par une ambulance autrichienne aménagée en camping car. Ils devront patienter trois ans pour obtenir l’autorisation de pénétrer dans ce territoire interdit du Wakan. Finalement le roi d’Afghanistan en personne signera leur laissez-passer. Quand l’expédition est enfin lancée, la caravane est déjà en route sur le fleuve gelé. Il faut la rattraper. On saluera l’exploit de Roland et Sabrina Michaud qui parviennent à la retrouver au bout de trois jours à raison de sept heures de cheval quotidien. Ils s’intègrent enfin à la longue marche de cette quinzaine de chameaux de Bactriane qui descendent le cours d’eau glacé, s’accrochant à la glace vive qui craquelle sous leurs pas. Grace à leurs sabots qui ont la consistance du feutre, ils ne dérapent jamais. Ce superbe animal à la fourrure épaisse où l’homme peut plonger la main jusqu’au poignet est dit-on “un animal musulman” car tout comme les humains il est capable de s’agenouiller pour prier. Dans le Coran la création d’un chameau est mise sur le même plan que celle des montagnes et de la terre. Elle symbolise, nous dit Michaud, la sagesse et la bonté d’Allah.


Le chameau de Bactriane, le vaisseau du désert du Taklamakan ou des montagnes du Pamir. (ph Rochot)

De même le yak est l’animal le plus précieux de la région du Pamir et la vie ne serait pas possible sans lui. Contrairement au chameau il peut se nourrir de façon autonome, même en hiver où il creuse la neige avec son mufle pour atteindre l’herbe. Sur les pentes vertigineuses du Pamir il est le moyen de transport le plus sûr, le plus stable, le plus résistant.


Sans le yak dit-on, la vie ne serait pas possible dans les montagnes du Pamir… (Ph Rochot)

A l’étape, les chameaux de Bactriane sont attachés deux à deux pour éviter qu’ils ne s’affalent sur le sol glacé alors qu’ils sont en sueur, ce qui pourrait leur être fatal. Tout au long de leur expédition, les auteurs vont ainsi nous livrer des détails sur la vie des caravaniers kirghizes d’Afghanistan. Les Michaud ont plus ou moins appris la langue locale le dari. Ils ont fait l’effort de comprendre l’autre plutôt que de le juger. Et c’est bien là la qualité des grands explorateurs et des grands découvreurs. “Ici je suis d’abord un intrus. Il me faut entrer dans ce monde sur la pointe des pieds, avec précaution et humilité. C’est à moi de m’adapter” dit Roland Michaud.


Frontière Chine-Afghanistan, montagnes du Pamir. (Ph Rochot)

Sur cette terre afghane le moindre bien est respecté car tout est précieux. Le feu par exemple a une valeur essentielle à tel point que l’on juge souvent un homme par son pouvoir de le maîtriser. Dire de quelqu’un “de sa pierre à briquet ne sort aucun feu” signifie qu’on ne peut lui faire confiance. L’expérience de la vie des caravaniers est riche d’enseignement. Roland Michaud nous apprend par exemple que le vol n’est pas forcément condamnable dans les coutumes de la vie des Kirghizes. C’est une manière dit-il “d’acheter sans argent”. Un homme peut par exemple voler un cheval ou un couteau si au bout de trois demandes le propriétaire refuse de s’en séparer. Autant de détails sur la vie dans les montagnes du Pamir surprennent le lecteur. “Aujourd’hui cette caravane n’existe plus. Elle fut la dernière caravane d’Asie centrale mais elle continue à nous faire rêver écrivent les auteurs.” Cette longue file de chameaux se déplaçant sur le fleuve gelé a pourtant acquis valeur d’éternité. L’image est passée dans les revues photographiques les plus prestigieuses et restera à jamais gravée dans nos mémoires. Mais comme dit le couple Michaud il aura fallu attendre quarante huit ans pour que nous en fassions le récit: un récit qui sonne tel un testament dédié à la beauté du monde, une sorte d’hommage à l’éternel que l’on trouve à la fin du livre: “Merci au maître de nos destinées . A lui qui est plus grand que tout, nous adressons notre gratitude pour sa générosité et sa miséricorde”.

Philippe Rochot

Roland Michaud est décédé le 26 mai 2020.

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