Festival photo du Guilvinec, contre vents et marées. Ph Rochot.
- Philippe Rochot
- 2 mai 2021
- 4 min de lecture
Photo Didier Bizet: pêche en mer d’Aral.
Quartier de la marine, enclos du phare, site de la criée… Voilà les lieux d’expo du festival photo du Guilvinec qui attaque sa onzième année. Encore un festival qui doit se féliciter d’exister en dehors des musées et des salles de mairie. A l’heure où les grandes rencontres de l’image réduisent une nouvelle fois la voilure, d’autres s’affirment et tiennent bon la barre au grand air de l’océan. C’est le cas du Guilvinec, festival modeste mais bien vivant cette année encore malgré la situation sanitaire.

Mon coup de cœur va à Pepe Brix pour sa série intitulée « Pêcheurs de morue, derniers héros portugais. » Ces hommes sont des héros car ils risquent leur vie sur des morutiers affrontant le large dans des conditions climatiques souvent extrêmes. Pepe Brix, 34 ans, citoyen portugais passionné par la mer, a embarqué sur le « Joana Princesa » jusqu’à Terre neuve, partageant son quotidien avec l’équipagse dans un espace très réduit. Si la série est de la même veine que le livre de Pepe Brix intitulé « Derniers héros », alors il faut s’y arrêter.

De même il faut saluer l’exploit de Bertrand Desprez qui remonte à 1991, année au cours de laquelle il parvient à s’embarquer dans le port d’Odessa sur un navire école de l’Union soviétique le Kruzenshtern. Lui aussi a partagé le quotidien des jeunes marins soviétiques durant les derniers mois d’existence de l’URSS.

« À cette époque, dit-il, le pays souffrait économiquement et les vivres embarquées à bord du navire étaient limitées à de la viande et des patates, pas de fruits, de laitage… » Il restera pourtant un mois à bord du navire école en compagnie de 80 cadets de la marine marchande soviétique et 70 membres d’équipage.

Didier Bizet dont une attachante photo de pêcheur sert d’affiche au festival, aime aussi les eaux troubles des pays de l’est. On connait son goût et son regard sur la vie dans les anciennes républiques soviétiques ou sur les régimes communistes qui survivent encore, à l’image de la Corée du nord. Dans ces pays dit-il, « la mélancolie du temps se laisse docilement photographier ». Avec sa série baptisée « Aral dreams » il nous conduit sur les rivages de la mer d’Aral, cette mer pratiquement asséchée par le pompage abusif destiné à la culture du coton mais qui a quand-même repris vie dans la région du Kazakhstan. Didier Bizet nous fait pénétrer dans l’univers d’un couple du village de Tastubek qui pratique à nouveau la pêche et a vu sa vie se transformer.

Baudouin Muanda voit au-delà des mers qui bordent son pays le Congo Brazzaville et vise carrément les changements climatiques et l’environnement. Sa série « Le Ciel de saison » est née des intempéries qui frappent l’Afrique et surtout celles qui sont dues au bouleversement du climat. Ces pluies torrentielles qui touchent régulièrement l’Afrique ne sont pas forcément une bénédiction et les populations doivent aussi se battre contre ce fléau aussi éprouvant que les plus rudes sécheresses.

Voilà deux ans que le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-mer est annulé : trop de monde, trop près, trop dense, risque sanitaire élevé. On aura donc plaisir à retrouver des photos de ce grand rassemblement des Roms et des Gitans avec la série de Nigel Dickinson. L’endroit est une mine d’images : portraits d’hommes et de femmes venus de toute l’Europe, aux visages burinés, travaillés par le vent et les grands espaces, foules qui chantent devant l’église, baptêmes célébrés sous la protection de la sainte Sara la Noire. Dans un seul lieu, une source d’images infinies s’offre au photographe et Nigel Dickinson a su en profiter.

Michel Thersiquel est un photographe breton qui s’est fait remarquer par ses portraits dans les années 1970 au sein du Club des 30X40 où se retrouvaient les grands de la photographie française comme Doisneau, Ronis, Boubat. Son regard sur la Bretagne est donc avant tout humain. C’est dans cet esprit qu’il va réaliser en 1987 à Lorient, une série sur « Les femmes à la criée, mettant au grand jour des métiers peu connus du monde de la pêche. Aujourd’hui la plupart de ces métiers ont disparu ce qui donne à ses images une dimension supplémentaire.
Des thèmes originaux s’annoncent au festival du Guilvinec comme la série sur les conteneurs de Gildas Hemon. Un monde à part, austère, qui impressionne et autour duquel évoluent des centaines de milliers d’hommes.

Lorraine Turci que l’on pourrait qualifier d’artiste-reporter a choisi un microcosme en traitant les changements climatiques dans un village inuit de 47 habitants. Ils vivent de la pêche à la morue, au beluga, à la baleine, se déplacent en bateau ou en chien de traineau mais voient leur mode de vie se transformer.

Le Festival se veut aussi le reflet de la mémoire collective locale, et invite la population à chercher des photos dans ses vieux albums ou ses fonds de tiroir sur quelques thèmes oubliés : les dentelières, les conserveries, les équipages, les fêtes maritimes, les migrations des marins vers Quiberon etc. Manière comme une autre de faire participer toutes les générations à ce festival de photo.
Philippe Rochot

Dans le même esprit, suivre le très beau site de Frédéric Briois: reflets d’opale… frederic-briois.com
Comments