Afrique: le nouvel atelier. Entre sacré et sacrilège (Fondation Vuitton) Ph. Rochot
- Philippe Rochot
- 8 mai 2017
- 3 min de lecture
Genesis de Kudzana Chiurai (artiste du Zimbabwe) //
Quand on parle création contemporaine on pense plutôt aux jeunes artistes chinois qui nous livrent souvent des œuvres sans entraves, provoquantes, lançant un défi à leur propre histoire. On oublie la création africaine si attachante, si présente. La collection de Jean Pigozzi exposée à la fondation Vuitton est là pour nous le rappeler: grandiose !

Le bidon en plastique est l’objet sur lequel on bute souvent sur les chemins d’Afrique. Il est partout : dans les maisons comme recipient pour l’eau ou l’huile ou pour le trafic d’essence, oublié sur les pistes, jeté dans les caniveaux ou les terrains vagues. Des artistes du continent noir ont eu l’idée simple mais géniale d’en faire un objet créatif et ils ont réussi.

C’est le cas des Béninois Hazoumé ou Dagpokan qui ont choisi de fabriquer des masques de cérémonie avec des objets de la vie quotidienne, bafouant le sens du sacré en utilisant un vieil aspirateur ou une râpe à légume pour les transformer en figures de cérémonie rituelle. Un pied-de nez au mode de vie occidental mais aussi africain.

La pureté, la naïveté, la sincérité du regard des artistes nous émeuvent, nous attachent à ces œuvres produites souvent avec les moyens du bord : des déchets, des pièces de métal ramassées dans la rue, montées et bricolées, des couleurs fabriquées avec peu de moyens… mais un résultat surprenant, fascinant qui nous transporte dans l’univers du continent noir, dans cette approche de la vie directe et naïve qui nous fait aimer l’Afrique.

Bien sûr on retrouve les peintures tendres, directes, presque enfantines de Chéri Samba, sa vision de la vie à Kinshasa. On retrouve aussi les éternelles photos de Seidou Keïta et ses adorables portraits réalisés dans un studio de fortune. Mais l’expo va bien au-delà. Il faut voir l’œuvre monumentale de Moke, qualifié de « peintre-reporter de l’urbanité » qui nous décrit la vie quotidienne à « Kin » (Kinshasa) en toute simplicité.

Je retiens de même l’auteur de ce tableau intitulé « 11 septembre » et qui nous présente une sorte de tragédie à l’Africaine où se mêleraient les morts du World Trade Center et les victimes du génocide rwandais.


Une part importante est accordée aux artistes sud-africains comme Siwani, jeune artiste noire qui se présente en statue de savon entourée de bassines et de cuvettes. Car la cuvette est un élément essentiel à la vie de la femme africaine à tel point qu’elle en devient l’esclave : cuvette pour l’eau, cuvette pour la toilette, cuvette pour le lavage…

La sud-africaine Jane Alexander nous offre ses « chiens sauvages » les Lycaons, que l’on rencontre souvent dans les coins glauques du pays et à qui l’artiste donne un aspect de mi-bête mi-homme… Car cet animal autrefois chassé et traqué est aujourd’hui classé dans les espèces protégées.

La puissance de ce guerrier de la brousse peint par Chiurai, un artiste du Zmbabwe vivant en Afrique du sud me rappelle aussi bien les hommes de « l’armée de Résistance du seigneur » que les miliciens somaliens « shebab » qui sèment la terreur au nom de Dieu parmi les populations locales. Mais la force du trait et de la peinture a quelque chose de fascinant, de puissant et finalement de beau qui nous fait aimer cette toile.


L’artiste nigérian Ojeikere s’est attaché à la coiffure des femmes de son pays et propose des portraits d’une grande rigueur : mêmes cadrage, mêmes profils, avec une diversité qui nous montre que la coiffure africaine est aussi une forme d’art. .

Les clins d’œil ironiques sur le colonialisme et les incursions de l’occident en Afrique sont là en permanence, comme ces toiles de Kudzana Chiurai mettant en scène l’épopée de Livingstone où les rôles de l’homme blanc et de l’homme noir sont inversés…
L’expo “Afrique, le nouvel atelier” de la fondation Vuitton nous fait ainsi tourner les regards vers le continent noir et il y a quelque chose de rassurant dans cette collection d’œuvres si surprenantes qui redonne sa place à la création africaine. Philippe Rochot

De Chéri Samba: hommage aux anciens créateurs: 1999.
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