AMAZONIA : Salgado et son hymne à l’Amazonie… Philharmonie-Paris : Ph Rochot.
- Philippe Rochot
- 31 mai 2021
- 4 min de lecture
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Au siècle dernier, l’Amazonie était qualifiée d’enfer vert. Puis la grande forêt est devenue le « poumon de la planète ». Aujourd’hui on évoque carrément le paradis vert, terre de lutte des défenseurs de la nature et de l’environnement.
Pour Sebastiao Salgado, l’Amazonie a toujours été une réserve de biodiversité qu’il fallait protéger. Voilà plus d’un demi-siècle que cet illustre photographe d’origine brésilienne s’est engagé dans la préservation de cette forêt plus grande que l’Europe qui compte 16 000 espèces d’arbres et abrite quelque 300 groupes ethniques. Il a pu photographier une dizaine de ces tribus: travail énorme qui demande des qualités d’explorateur, d’ethnologue, de diplomate, de photographe bien sûr et une patience infinie : sept ans d’approche et de préparation.

Femme Yaminawa. (c) Sebastiao Salgado.
L’Amazonie peut se pénétrer en voiture par les routes des propriétaires terriens, en petites embarcations sur le millier d’affluents qui se déversent dans le fleuve, à pied en taillant son chemin à la machette, ou encore en avion ou en hélicoptère. Salgado a utilisé tous ces moyens pour vivre les métamorphoses de cette immense forêt et rencontrer les populations.
L’Amazonie n’est pas une vaste étendue plate et monotone comme on l’imagine souvent. Le paysage est rythmé par des reliefs imposants de plus de 3000 mètres avec falaises, rochers, cascades. Pour en mesurer la dimension et photographier cette nature d’une richesse insoupçonnée, le seul moyen est aérien : l’avion ou l’hélico. Sebastiao Salgado a pu embarquer à plusieurs reprises à bord des appareils de l’armée qui surveillent les zones frontalières du Brésil. Il s’est attaché à cet univers grandiose, aux méandres des fleuves qui font naître des lacs à la saison des pluies, mais aussi aux nuages, aux ciels d’orage qui font de l’Amazonie un paysage en permanente évolution. La lumière, les cumulus menaçants, les brumes toujours changeantes, ont fasciné le photographe. Salgado a même accentué l’effet au tirage, donnant aux paysages amazoniens un caractère mystérieux, toujours fantastique mais jamais effrayant.

Archipel de Marihua, Rio Negro. (c) Sebastiao Salgado.
Il nous livre ainsi une vision positive de la grande forêt avec ses « rivières célestes », ces masses d’eau qui naissent de la jungle amazonienne et charrient plus de liquide que le fleuve Amazone lui-même. 20 milliards de tonnes d’eau montent ainsi vers l’atmosphère. Un arbre peut puiser de l’eau jusqu’à 60 m de profondeur et en rejeter jusqu’à 1000 litres par jour. Source fabuleuse quand on sait que l’Amazonie compte près de 500 milliards d’arbres.
Salgado reste fidèle à la photo noir et blanc qui est sa marque de fabrique. L’expo alterne ainsi images de paysages et portraits de populations. Peu de clichés d’action mais des portraits d’une grande précision, réalisés grâce à un « studio » de fortune : une simple bâche que l’auteur accroche aux arbres et qui sert de toile de fond. Et là, il attend le « client » : ni obligation, ni pression. Les gens, curieux, se portent volontaires et viennent se faire tirer le portrait. Mais il a fallu pour cela gagner leur confiance. Le secret de l’auteur reste le temps passé avec les peuples indigènes. Certains ont rarement rencontré l’homme blanc. D’autres ont eu maille à partir avec les chercheurs d’or ou les forestiers qui détruisent leur habitat naturel et se méfient de l’étranger qui cherche à prendre contact. La constitution brésilienne de 1988 précise même qu’il ne faut pas approcher les tribus afin de les protéger.
Les Yanomami, le plus grand peuple indien vivant isolé du monde, sont sans doute les plus connus. Ils sont 40 000 au Brésil et 20 000 au Venezuela. Ils ont souffert de la construction des routes à travers la jungle sous la dictature militaire dans les années 60. Ces bouleversements sur leur territoire ont apporté les maladies : la grippe, le paludisme, la rougeole, les MST etc. Salgado présente ces hommes et ces femmes dans leur habitat, dans leur domaine, en tenue d’apparat, avec peintures de fête, posant volontiers avec un animal.

Chamane lors d'un rituel. (c) Sebastiao Salgado.
L’exposition Amazonia est ponctuée de témoignages vidéo de chefs de tribus, de chamanes, de chasseurs qui racontent les ravages de l’homme sur la forêt. Aujourd’hui le président brésilien Jair Bolsonaro a donné quartier libre aux orpailleurs et aux propriétaires terriens pour exploiter ce paradis vert sans respecter l’environnement ni les populations locales. D’où la colère de ces indigènes qui se disent prêts à mourir pour sauver leurs traditions.
L’exposition Amazonia présente la terre des Macuxi, où vivent les plus anciennes populations du Brésil. En 1970, les Indiens ont perdu la propriété de leurs domaines de vie et de chasse au profit des éleveurs. Ils ont vécu dans des villages sous la menace d’hommes armés, engagés par les propriétaires fermiers. Un mouvement appelé « ou vai ou racha » (ça passe ou ça casse), a mobilisé les Indiens pour qu’ils défendent leurs droits à la terre.
Citons aussi les Yawanawas qui vivent à présent en harmonie avec la nature, alors que dans les années 70 ils n’étaient guère plus d’une centaine, s’adonnant sans retenue à la boisson. On leur interdisait de parler leur langue devant les propriétaires de plantations d’hévéas. La mission évangélique sur place avait imposé le culte chrétien et l’abandon des rites traditionnels. « Les enfants n’apprenaient que le Portugais. Nos croyances et traditions étaient considérées comme diaboliques par les missionnaires et beaucoup d’entre nous les croyaient. Nous avons commencé à vivre comme des esclaves » raconte Biraci Yawamawa, chef de groupe. Aujourd’hui ils ont réussi à reprendre en main leur destin.

Indiennes Zuruha: (c) Sebastiao Salgado.
Tous ces peuples indigènes d’Amazonie se retrouvent donc dans une vaste salle obscure de la Philharmonie de Paris, grâce à la scénographie de Lélia Wanick Salgado. Il faut y ajouter la dimension sonore et musicale, mise en œuvre par Jean-Michel Jarre. Les sons de la jungle sont peut-être aussi importants que les images : le vent dans les arbres, l’appel des animaux, le chant des oiseaux, le fracas des eaux qui se précipitent du haut des montagnes mais aussi le bruit assourdissant des tronçonneuses qui attaquent la forêt.
Pour Sebastiao Salgado, cette œuvre est un aboutissement. Après son travail monumental sur La main de l’homme, Exodus, Africa ou Genesis, Amazonia rassemble ses fantasmes et ses passions. Salgado reste un photographe hors du commun, qui se situe en marge des gens d’image les plus célèbres, à la fois artiste, reporter, ethnologue, géographe, historien, mettant son talent au service d’une cause, celle de la défense de l’humain et de son environnement.
Philippe Rochot
Merci Philippe, l'exposition doit être magnifique. En effet il a raison de dire que le temps lui permet de rentrer en contact avec la population sans précipitation, c'est cela qui manque aujourd'hui aux photographes et aux reporters. Free-lance laisse la liberté, mais ne nourrit pas l'homme. Pourtant c'est le secret et le respect.
Amitiés bises bel été à toi.
Dann