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« Photographies en guerre » : métamorphoses de l’image de conflits. Expo hotel des Invalides...

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 10 juin 2022
  • 4 min de lecture


Lancer deux expositions sur la photographie de guerre quelques mois avant l’offensive de l’armée russe en Ukraine, était sans doute prémonitoire… Quand le musée Jean Moulin à Paris inaugurait ses « Femmes photographes de guerre » et que l’hôtel des Invalides préparait « Photographies en guerre », la Russie n’avait pas encore déclenché les hostilités. A présent les batailles engagées sur Kiev et le Donbass relancent l’intérêt pour ces deux expositions.

J’ai raconté le rôle des femmes photographes dans mon dernier article. J’aborde ici le thème traité par l’expo « Photographies en guerre » du musée de l’Armée aux Invalides, pour saluer d’abord la rigueur des choix de la commissaire Mathilde Benoistel.



Album du lieutenant Henri Terrier, 1915.


Du siège de Rome en 1849 à la guerre en Syrie contre Daesh, en passant par la guerre de Sécession, la guerre de 1870, les deux conflits mondiaux, la guerre du Vietnam, la guerre froide ou encore les guerres de décolonisation, plus de 300 photographies sont réunies. Certaines sont prêtées, d’autres sorties des archives du musée des Invalides.

Les premiers photographes documentant les conflits ont pointé leurs objectifs durant le siège de Rome par l’armée française en juillet 1849 mais la tradition est de faire commencer la photo de guerre avec les combats de Crimée. Les appareils de l’époque saisissaient mal le mouvement ; les scènes sont donc figées et souvent floues : paysages dévastés, pièces d’artillerie à l’arrêt, tranchées désertées, soldats qui posent, mais aussi images de vie quotidienne.



Bilbao, 1937. La course vers les abris durant la guerre d’Espagne : photo Robert Capa.


A partir de 1880, on parle déjà de l’âge d’or de la photo de guerre. Les nouvelles techniques permettent de construire des récits photographiques qui passionnent les lecteurs. A l’approche des conflits mondiaux, les puissances mesurent l’importance de l’image et voient déjà comment elles pourront influencer les opinions.

Les soldats eux-mêmes se sont transformés en photographes grâce à la miniaturisation des appareils. Le fameux « Pocket Kodak », qui comme son nom l’indique tient dans la poche, permettra d’éterniser des scènes de vie sur le front, au-delà de tout contrôle des autorités militaires. Les prises de vue sont interdites mais le soldat de base sait habilement déjouer la vigilance des chefs. Les scènes de tranchées ou les photos de groupe rencontrent un franc succès dans les familles. Elles permettent de montrer le vrai visage de la guerre en contournant la version officielle.

Les photos du front vont également se vendre, comme celles de la campagne d’Italie de 1859 ainsi que des albums complets présentant la guerre de Sécession.

Yevgheny Khaldei : la prise du Reishtag à Berlin par l'armée rouge. 1944.

La Deuxième Guerre mondiale verra l’émergence d’images iconiques, symboliques, à la gloire des vainqueurs. Deux exemples sont retenus : la victoire d’Iwo Jima dans le Pacifique sud avec la photo du reporter américain Joe Rosenthal (Associated Press) montrant un groupe de soldats hissant le drapeau sur une position stratégique prise à l’ennemi, puis l’image des soldats soviétiques plantant le drapeau rouge sur le toit du Reichstag à Berlin en mai 1945, réalisée par le photographe de l’agence Tass, Evgueny Khaldeï. La scène a été reconstituée quelques jours plus tard. C’est le reporter lui-même qui a fourni le drapeau rouge. Il a utilisé tout un rouleau de pellicule pour être sûr d’avoir le bon angle. Pour la position d’Iwo Jima, Joe Rosenthal a dû attendre qu’un deuxième drapeau plus grand soit planté.

Dans les deux cas il fallait soigner la prise de vue, donner de la force au sujet ainsi qu’une portée politique que sauront exploiter les propagandes soviétiques et américaines.


Iwo Jima : 1945. Photo de Joe Rosenthal.


Tous les grands reporters du photojournalisme moderne sont représentés dans l’exposition du musée des Invalides : Capa, Caron, McCulling, Riboud. On retrouve des photos emblématiques de l’époque de la guerre du Vietnam, mais pas forcément celles qu’on attend. La petite vietnamienne courant nue sous le feu des bombardements au napalm est remplacée par une simple photo de la route où le drame a eu lieu, dans la fumée, mais sans personnages, prise par l’artiste tchèque Pavel Maria Smejkal.

On renoue aussi avec l’attentat du Drakkar à Beyrouth en 1983 avec cette photo, captée par Yan Morvan, d’un béret rouge français choqué, tenant la main de son compagnon d’arme enseveli sous les décombres.



A chaque étape, un photographe évoque son travail dans une courte vidéo comme Laurent Van der Stockt dont les reportages sur la Syrie ont marqué la couverture de ce conflit. Il nous rappelle qu’avant l’ère du numérique et de la diffusion par internet il fallait galérer pour trouver un passager pouvant rapporter ses films en France alors qu’aujourd’hui on peut envoyer son reportage depuis le champ de bataille et surtout faire soi-même la sélection de ses images : un tournant capital dans la vie des photoreporters.

L’expo met aussi en valeur le travail de photographes qui ont une autre approche que le simple déclic sur l’événement comme Yann Morvan qui réalise un véritable travail de mémoire, susceptible de tenir 200 ans comme il le dit lui-même.

Les photos de Guillaume Herbaud sur l’Ukraine et le Donbass prises avant l’offensive de l’armée russe nous projettent plusieurs années en arrière. Edouard Elias dont l’approche est plus artistique que journalistique va même plus loin. Il photographie les tranchées ukrainiennes avec force tons noirs nous replongeant presque dans l’atmosphère des tranchées de la seconde guerre mondiale.

Cette exposition « Photographies en guerre » n’est donc pas une série sur les photos de conflits à travers l’histoire mais un éclairage sur la fabrication de l’image de guerre, ses ressorts, ses motivations, son impact.

Philippe Rochot

 
 
 

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