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Arabie saoudite 3.0… Paroles de la jeunesse saoudienne. Un œil sur le livre de Clarence Rodrig

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 25 oct. 2017
  • 5 min de lecture

Il est des auteurs que l’actualité vient parfois servir avec un certain bonheur. Clarence Rodriguez fait partie de ceux-là. Au moment où parait son ouvrage « Arabie saoudite 3.0 » sur l’évolution de la société saoudienne, une décision remarquée a été prise par le nouveau prince héritier Mohamed Bin Salman : les femmes vont être autorisées à conduire. C’est un bouleversement, un changement profond dans les mentalités, les traditions, les coutumes, une petite révolution qui s’inscrit parfaitement dans les témoignages rapportés par Clarence Rodriguez à travers ses « paroles de la jeunesse saoudienne ».

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Ecole aux environs de Ryadh. Sur 30 millions d’habitants, 65% ont moins de 30 ans. (c) Ph Rochot.

De l’Arabie, nos cultures occidentales ont surtout retenu le fait que la femme se déplaçait voilée, en compagnie obligatoire de son tuteur, son « bodygard » comme disent les saoudiennes et n’avait pas le droit de prendre le volant. Mais au-delà des clichés que nous aimons entretenir, d’autres réalités se font jour dans la société saoudienne. L’expérience vécue par Clarence Rodriguez durant douze années est exceptionnelle : elle est femme, elle est étrangère et elle est journaliste. Elle est même la première journaliste à avoir pu s’accréditer auprès des autorités saoudiennes ce qui lui a valu de pouvoir faire plusieurs incursions dans la guerre du Yemen avec l’armée royale. Mais dans son ouvrage, Clarence Rodriguez veut surtout expliquer cette société difficilement pénétrable qui loin d’être figée est en constante évolution malgré le poids des traditions. Par exemple, dans les familles, c’est encore la mère qui choisit une épouse pour son fils. J’ai retenu les propos de Samir qui a pourtant passé six ans en France et confie à l’auteure : « j’ai dit à ma mère que je voulais qu’elle me trouve une femme qui soit belle, qui ait fait des études et qui soit de bonne famille. C’est sur cette base là qu’elle s’est mise à chercher. » Et elle a trouvé…

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Fête de famille en Arabie. Photo de Tasneem al Sultan, biennale photographes du monde arabe, IMA Paris.

La société saoudienne évolue encore dans un état d’esprit où le regard de l’autre est essentiel. Il est parfaitement admis qu’un homme puisse courir les filles, mais condamnable qu’une fille puisse courir les hommes. De même, il faut à tout prix éviter la hchouma, la honte sociale. Un fils qui part étudier à l’étranger et revient sans diplôme, c’est la honte pour la famille. De jeunes saoudiens et saoudiennes réussissent dans la vie malgré les obstacles semés par la tradition. Des femmes parviennent à trouver des emplois en dehors des secteurs de la santé ou de l’enseignement. J’ai aimé le portrait de Raghad qui a créé sa boutique de vêtements qu’elle va acheter en France avec la bénédiction de son père. Elle met de la musique plein pot dans son magasin (Piaf et la vie en rose) alors que c’est interdit. Elle fait travailler trois vendeuses, vend des jupes courtes et accueille parfois ses clientes sans le voile traditionnel (hidjab). Un voile qui d’ailleurs n’est plus forcément noir mais peut-être gris ou bleu. Là est aussi le changement. Raghad ne se reconnaît pas dans les clichés entretenus en occident où la femme saoudienne est dit-on « cloitrée, passive, soumise. »


Jeunesse saoudienne devant l’ancien palais du roi Saoud à Ryadh. (c) Ph Rochot.

Le mérite de cet ouvrage est d’abord de nous livrer des témoignages sincères et directs de jeunes femmes ou de jeunes hommes confrontés aux réalités de notre monde moderne. Le casting est plutôt bien choisi. Les réflexions rapportées en disent long sur la mentalité de la jeunesse saoudienne quand elle parle des jugements que porte le monde extérieur sur l’Arabie. Dasan par exemple évoque les vieux clichés qui régnaient à l’époque de ses parents dans les années 1980. On disait alors: « Les Saoudiens sont les rois du monde avec l’argent du pétrole qu’ils se font sur le dos des automobilistes occidentaux. » Et aujourd’hui d’après Dasan on dit : « Les Saoudiens sont tous des terroristes qui veulent mettre des bombes dans les métros de Londres ou de Paris. » La jeunesse saoudienne rejette aujourd’hui ces caricatures. Elles ont pourtant leur explication : le monde n’a pas oublié que sur les vingt membres du commando du 11 septembre 2001, dix-huit étaient saoudiens. Certes comme le rappelle une femme dans cette série d’entretiens, l’Arabie saoudite est aussi une victime du terrorisme et fait face également à des attentats menés par Al Qaïda ou par Daech dans les mosquées et dans les lieux publics. Mais c’est oublier rappelle Clarence Rodriguez à ses interlocutrices qu’une confortable majorité de la population saoudienne est favorable à Daech si l’on en croit de discrets sondages d’opinion.


Djeddah, la ville ancienne. (c) Ph Rochot.

Toutes les contradictions de ce royaume fondé sur l’alliance de la tribu Saoud et des intégristes religieux wahabites sont là. L’Arabie ne peut se défaire du poids que représente la religion au sein du pouvoir et dans la vie de la société. Elle est traditionnellement le gardien des lieux saints de l’islam et à ce titre doit rendre des comptes à la « umma », la communauté des croyants. « L’Arabie saoudite disait ironiquement  l’ancien premier ministre israélien Menahem Begin, ça n’est pas un pays, c’est une famille. » Et il n’avait pas tort. Il faut compter avec les quelque 15 000 princes qui se partagent le pouvoir. L’ouverture sociale et politique existe mais elle connaitra automatiquement ses limites. Le nouveau prince Mohamed Bin Salman en qui la jeunesse saoudienne accorde apparemment une confiance aveugle, a réduit le rôle de la police religieuse pour la plus grande joie des jeunes et surtout des femmes.

Les fameux Mutawas, ces hommes qui obligent les commerçants à fermer boutique à l’heure de la prière qui traquent les filles pour les forcer à mieux se voiler, sont haïs par la population. La police des mœurs est mise au pas mais reste puissante et n’a peut-être pas dit son dernier mot. L’auteure insiste sur le rôle essentiel joué par ce jeune prince de trente ans dont les initiatives ont bouleversé les habitudes au sein du royaume d’Arabie. C’est lui qui a donné le feu vert aux femmes pour prendre le volant. Ses projets d’avenir sont clairement définis dans un discours-clé présentant son plan « vision 2030 » : développement des privatisations comme celle de la très conservatrice compagnie pétrolière Aramco, hausse des investissements étrangers, montée en puissance des énergies nouvelles pour affronter l’épuisement des ressources en pétrole, ouverture du pays au tourisme autrement que par le pèlerinage à La Mecque etc… Autant de tabous brisés par ce messie en keffieh avec en plus la promesse d’un islam tolérant : « Nous ne ferons que retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions. » dit-il. Le jeune homme a confisqué la plupart des pouvoirs y compris celui de la défense, un domaine dans lequel il a peu d’expérience et peine à terminer la guerre au Yemen.

Badawi Amnesty

Raïf Badawi, le combat d’un blogueur… (c) Amnesty international.

Clarence Rodriguez oppose dans son livre le portrait de ce jeune prince à celui de Raïf Badawi, créateur du site Free Saudi Liberals où il réclame une libéralisation religieuse et accuse la police religieuse de violation des droits de l’homme. Condamné à mille coups de fouet pour apostasie il a échappé à la peine de mort mais croupit en prison sans que son sort n’émeuve apparemment la Cour. Si le prince héritier Mohamed Bin Salman est le symbole du changement en Arabie, le cas Raïf Badawi en marque clairement les limites.

Philippe Rochot

Arabie saoudite 3.0 / paroles de la jeunesse saoudienne: Editions Erick Bonnier   18€ .


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