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Assises du journalisme : L’onde de choc des Gilets Jaunes… Philippe Rochot

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 14 mars 2019
  • 4 min de lecture

Les médias n’ont pas attendu le grand débat lancé par Emmanuel Macron pour se remettre en question et évoquer les problèmes sans cesse nouveaux, soulevés par la profession de journaliste. Voilà plus d’une décennie que les Assises du Journalisme rassemblent chaque année pour quelques jours, plusieurs centaines de rédacteurs, présentateurs, éditorialistes, reporters, chercheurs, lecteurs, auditeurs qui s’interrogent sur l’évolution du métier. Cette année, les Assises prennent une nouvelle dimension avec la crise des gilets jaunes. Dans la couverture des différents « actes », les journalistes se sont trouvés pris entre deux feux : la police qui n’a guère eu de considération pour les porteurs de cartes ou de brassards de presse et les gilets jaunes qui ont régulièrement pris à partie des reporters télé ou des photographes, devenus les boucs émissaires d’une situation incontrôlée.


Paris, Invalides: acte 10. Démonstration des gilets jaunes. (c) Ph Rochot.

Le témoignage de Céline Durchon est à ce titre édifiant. Elle travaille comme pigiste dans une société de production qui vend ses services à BFM-TV et dès le premier acte des gilets jaunes elle s’est retrouvée encerclée par une centaine de personnes hostiles, traitant sa chaîne de « vendue au pouvoir », recevant des insultes et des crachats. Elle s’est sentie humiliée dit-elle mais elle a su relever le défi. Quatre jours plus tard elle était de nouveau en piste et surtout décidait de fonder avec sept autres confrères et consœurs le collectif « PayeToiUnJournaliste » afin de comprendre l’hostilité injuste des manifestants vis à vis des médias. Le rapport de l’ODI (Observatoire de la Déontologie de l’Information) présidé par Patrick Eveno et Pierre Ganz, qui relève chaque année les obstacles qui se dressent devant une information libre et équilibrée, accorde une large place au problème soulevé par l’hostilité des gilets jaunes vis à vis des journalistes. Leur cible principale est bien la télévision, en particulier les chaînes d’information à commencer par BFM, accusée de profiter de ce mouvement pour faire de l’audience. Le rapport de l’ODI indique : « Les chaînes d’information en continu ont été clouées au pilori. Il leur a été reproché la surexposition de la moindre violence, passée en boucle, alors même que la très grande majorité des manifestations se sont déroulées pacifiquement. Les écrans de ces chaînes, divisés en plusieurs images, montrent incendies et assauts dans différentes villes même si le calme est revenu, même si c’est seulement deux poubelles qui flambent… Peu importe ce qui se dit en plateau : cette construction de l’image, renforcée par les sous-titres et les bandeaux, impose l’idée d’une violence permanente. »


Paris manif gilets jaunes à Nation: 2 février  2019 (c) Ph Rochot

Le rapport dénonce d’un autre côté les négligences et les dérapages dans la couverture de cette crise : «  Le profil des invités des plateaux TV-Radio n’a pas toujours été regardé avec soin, la diffusion de certaines images, notamment violentes, ou la diffusion décalée d’images avec la mention « en direct » alors que ce sont des rediffusions, la place importante confiée à des éditorialistes ou à des « experts » peu crédibles, des chiffres de mobilisation contestables, la lenteur à montrer les violences policières, etc., ont alimenté la défiance et nourri le sentiment que l’information était orientée. » Dans les débats du premier jour, les Assises du journalisme posent l’éternel problème du chiffre des manifestants dans les cortèges. Les syndicats n’osent plus s’aventurer à donner des estimations, dépassés par l’événement ; les journalistes de l’Agence France Presse non plus alors que cela faisait partie de leur travail de base. Le collectif baptisé Occurence n’est pas considéré comme fiable. Seuls sont donc cités les chiffres du ministère de l’intérieur ce qui fait dire aux gilets jaunes que l’information est partisane et ne fait que relayer les données fournies par le pouvoir en place. 


Le comptage des gilets jaunes: un casse tête: Paris 9 février 2019. (c) Ph Rochot

Le rapport de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information invite les journalistes à se méfier de ces chiffres mais aussi à ne pas tomber dans le piège des manipulations d’images. L’ODI cite un exemple parmi d’autres : « Une réunion de supporters de rugby à Clermont Ferrand en 2017 a été présentée comme une manifestation réussie de « gilets jaunes » en 2018. Néanmoins il faut souligner que de plus en plus d’articles dans la presse et à la télévision démontent systématiquement ces manipulations. »


L’angoisse du journaliste avant le “plateau” parmi les gilets jaunes. Paris, 26 janvier 2019. (c) Ph Rochot.

A chacun des actes du samedi organisés par les gilets jaunes, on a vu des pancartes brandies par les manifestants dénonçant la mainmise des groupes financiers sur l’information. Cette critique se retrouve dans les débats des Assises avec des gilets jaunes convertis dans le journalisme citoyen comme Gabin Formont qui dénonce dans les débats le fait que la presse en France est tenue en main par une dizaine de milliardaires. Le rapport de l’ODI démontre que pareille attitude n’a rien d’étonnant : « La question de la propriété des médias est aussi ancienne que la presse. Depuis deux siècles, des politiques et des militants dénoncent la mainmise des puissances financières sur les médias. Le 7 août 1848 à l’Assemblée nationale, Alexandre Ledru-Rollin proclamait : « Voulez-vous créer au profit de quelques habiletés industrielles ou politiques d’irrésistibles instruments de domination qui livreront à quatre ou cinq directeurs de journaux les idées, l’honneur, la moralité de la France ? »


Le rapport de l’ODI pointe du doigt les pressions inadmissibles exercées par les gilets jaunes pour empêcher la parution de certains journaux dont le contenu n’était pas forcément en leur faveur : « Plusieurs éditions de journaux du groupe Ouest-France n’ont pu être diffusées le 27 décembre après que des manifestants ont bloqué des camions à la sortie d’une imprimerie du groupe en Loire-Atlantique. En janvier 2019, une cinquantaine de gilets jaunes ont voulu bloquer le centre d’impression de L’Est Républicain, près de Nancy, mais les forces de l’ordre sont intervenues ; 20 000 exemplaires de La Voix du Nord n’ont pas pu être distribués. Même chose pour Le Journal du Centre et La République du Centre tandis que certaines éditions de L’Yonne Républicaine ont été livrées avec du retard. En février, 40 à 50 « gilets jaunes » ont empêché la distribution de 75 000 exemplaires du Courrier de l’Ouest, du Maine Libre et de Ouest-France. Tous ces éléments, les pressions du pouvoir, la fermeté de la police, le peu d’égards dont elle fait preuve pour les reporters de presse, les violences des gilets jaunes contre les journalistes, l’hostilité affichée de certains dirigeants politiques comme le chef de La France insoumise, donnent l’image d’une liberté de l’information menacée de tous côtés.


Manif gilets jaunes Paris Invalides: janvier 2019. (c) Philippe Rochot.

Il faut y ajouter les tentatives des différents pouvoirs pour que les journalistes d’investigation révèlent leurs sources d’information. La directive sur le secret des affaires continue de jeter une ombre sur la liberté d’enquêter. Le constat de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information est sans appel : « Entre la transposition très restrictive de la directive européenne sur le « secret des affaires », véritable loi-bâillon contre les journalistes, les lanceurs d’alerte, les associations, les syndicats, les historiens et les chercheurs et la loi contre les fakenews, adoptée contre l’avis du Sénat, car potentiellement liberticide, les journalistes n’ont pas de quoi se réjouir des volontés de contrôle affichées par l’hôte de l’Elysée. » On se consolera en constatant que ces Assises ont montré que la passion pour ce métier restait vive et que le mouvement des gilets jaunes était capable de faire bouger les lignes, de mieux pénétrer cette France périphérique qui jusque là n’avait guère la parole. Le mépris affiché par les gilets jaunes et les forces de l’ordre vis à vis des médias n’a pas entamé la motivation des jeunes journalistes pour se lancer dans ce métier. Les vocations sont toujours aussi nombreuses et les attributions de carte de presse ont sensiblement augmenté cette année.

Philippe Rochot

Rapport complet sur le site de l’Observatoire de la Déontologie de l’Information. http://www.odi.media

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