Bettina Rheims dévoile ses « Détenues » : portraits et paroles de femmes en prison. Philippe Rochot.
- Philippe Rochot
- 18 févr. 2018
- 3 min de lecture
Bettina Rheims nous avait habitués aux portraits de stars, offensifs et décapants, comme ceux de Catherine Deneuve ou de Vanessa Paradis. On imaginait guère l’artiste parcourir les prisons pour y rencontrer des femmes en détention, les écouter, les photographier et tenter quelque part de leur redonner une dignité perdue. C’est pourtant ce que vient de faire Bettina Rheims qui présente ses œuvres dans la chapelle du XIVème siècle baignée de lumière, face au donjon du château de Vincennes où furent emprisonnées de nombreuses femmes et d’illustres détenus.
« Il me fallait aller à la rencontre de femmes qui n’avaient pas fait le choix de vivre entre quatre murs dit-elle. Nous avons beaucoup parlé. Elles se sont racontées et j’ai tenté de leur offrir un moment hors de ce temps-là. » On évoque peu le sort des femmes en prison. La prison c’est les hommes ! Ou alors les ados. On se souvient à ce sujet du travail photographique étonnant réalisé par Lizzie Sadin, Mineurs en peine. Mais les femmes ! Elles ne représentent que 4% de la population carcérale. Pour réaliser ces portraits, Bettina Rheims a reçu le soutien de Robert Badinter et de l’administration pénitentiaire. Elle a visité quatre prisons de France pour y rencontrer quelque 120 détenues : toutes volontaires bien sûr. Les photos n’ont pas été prises dans les cellules, ni dans les couloirs, ni dans les cours ou les parloirs. On ne voit ni barreaux, ni gardien, ni fenêtre grillagée. Juste un mur blanc devant lequel posent ces femmes : même lumière, même cadrage, même composition d’image, ce qui permet de mieux plonger dans leur regard, de lever un voile sur leurs sentiments intérieurs, faits de résignation, de désespoir, de violence contenue et peut-être aussi de volonté d’en sortir un jour.
Les détenues étaient libres de se vêtir comme elles voulaient, de se maquiller ou pas avec les quelques produits apportés par la photographe. Laurence dévoile par exemple sur son sein gauche une rose tatouée, Eva met son dos en valeur en montrant un angelot tatoué tirant à l’arc. Certaines ont voulu garder la tenue qu’elles portaient en cellule, survêtement ou Tshirt ; d’autres se faire plus belles, revêtir une robe rouge éclatante, comme un défi lancé aux hommes libres. Et pour la première fois se regarder dans un miroir, objet qui n’existe pas dans les cellules.

“En prison, les femmes ne se regardent pas et une femme qui ne se regarde pas perd quelque chose de profond en elle, explique Bettina Rheims. Une solitude s’installe et elles s’y enfoncent. Je voulais leur ouvrir une petite fenêtre, leur donner une image d’elles. Qu’elles puissent se dire: j’existe. »
Quelques récits et paroles de détenues ponctuent l’exposition. On apprend ainsi que pour les femmes dont les maris ou compagnons sont incarcérés dans le même centre pénitencier, il existe un rendez-vous à heure fixe où les détenus se taisent pour permettre à l’homme et la femme de hurler leur amour au-delà des murs et des barreaux qui les empêchent de se voir et de se rencontrer.

Des détenues, raconte Bettina Rheims absorbent parfois une quarantaine de pilules par jour. D’autres ne supportent pas le sevrage alcoolique imposé. L’artiste côtoie des femmes de 75 ans condamnées à vingt ans de prison. Certaines ne voient leurs enfants que tous les deux ans et sont là pour de lourdes peines, comme cette femme qui déclare avoir découpé et enterré son mari en neuf morceaux, dans son jardin… Pour la petite histoire on retiendra cette remarque naïve d’un jeune garçon venu rendre visite à sa grand-mère emprisonnée à Roanne : « c’est grand chez toi mamie mais quand-même il y a beaucoup de policiers ».
Philippe Rochot
Face au donjon du château de Vincennes, la chapelle du XIVème siècle où sont présentées les Détenues…

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