De l’Irak aux Philippines, les choix de choc du World Press Photo 2017… Philippe Rochot.
- Philippe Rochot
- 13 févr. 2017
- 2 min de lecture
La fuite d’une famille face aux combats qui opposent Daech à l’armée irakienne: photo prise aux environs de Mossoul le 12 novembre 2016 par Serge Ponomarev pour le New York Times. ————— Le temps paraît lointain où le World Press primait les ébats d’un couple homosexuel dans un appartement de Moscou… C’était pourtant en 2015 mais ce choix s’était trouvé si contesté que le festival Visa pour l’image avait refusé d’exposer les lauréats comme il le fait chaque année. Aujourd’hui le World Press est rentré dans le rang et prime des photos chocs, du hard news, des images denses au message fort et direct comme la photo de l’assassinat de l’ambassadeur de Russie à Ankara. Image contestée puisque sa publication a posé aux médias un problème éthique.

(AP Photo)
Peut-on montrer un homme à terre qui vient d’être froidement exécuté ? Peut-on faire la propagande d’un pseudo-djihadiste criant victoire en brandissant le colt avec lequel il vient d’exécuter sa victime ? La décision du 59ème World Press n’a guère tenu compte de ces critères moraux qui auraient pu polluer son jugement et le prix a été décerné sans états d’âme à l’auteur de l’image… Sans doute faut-il passer outre et se féliciter de voir qu’on récompense aussi le courage et le sang-froid d’un reporter-photographe. Burhan Ozbilic s’était rendu sans enthousiasme au vernissage de cette exposition de photos sur la Russie. La galerie se trouvait à proximité de son bureau et l’ambassadeur russe devait être là. Pourquoi pas un “trombinoscope” avec Alexei Karlov, diplomate de haut rang ? Il aura fallu une parfaite maîtrise de son émotion pour lever son objectif en direction d’un homme qui venait d’assassiner un ambassadeur et tenait encore l’arme du crime entre ses mains. Mais Burhan a eu cette réflexion très simple: si je ne fais pas d’image, on va me dire: “Ah! Tu étais là-bas et tu n’as pas fait de photos ! “. C’est donc sans hésitations qu’il a éternisé la scène… Image contestable et contestée. Le président du Jury du World Press, Stuart Franklin ne s’est pas associé au vote et s’en explique: “J’étais fermement opposé à ce que cela devienne la photo de l’année. Il s’en est fallu de peu pour que les discussions tournent en ma faveur. J’ai voté contre. Désolé, Burhan. C’est la photographie d’un meurtre, d’un tueur et d’une victime, vus ensemble dans la même image. Moralement, publier cette image est aussi problématique que de publier une photo de décapitation terroriste.”
(c) Laurent Van Der Stockt. Getty reportage pour Le Monde. Cette année le World Press baigne dans les conflits du moment avec plusieurs photos sur la guerre d’Irak comme celle de Laurent Van Der Stockt pour Le Monde, prise dans un quartier de Mossoul, perquisitionné par les forces spéciales irakiennes et où la peur se lit sur les visages des enfants… Le jury du World Press n’ pas oublié les événements des Philippines où le président Duterte encourage la population à régler ses comptes avec les trafiquants de drogue. Cas unique au monde où le pouvoir de l’Etat demande aux gens de faire justice eux-mêmes. Et cela donne des images de corps abandonnés dans les rues de Manille comme la photo très suggestive de Daniel Berehulak pour le New York Times qui emporte l’un des seize prix.
Malgré le vaste choix offert au jury du World Press, nous retombons pourtant dans les clichés traditionnels primés régulièrement par la Fondation, du style “vierge à l’enfant”, avec la photo de Paula Bronstein, prise à Kaboul après un attentat montrant une femme en larmes portant un enfant blessé dans ses bras, image qui perpétue la tradition chrétienne dans la création photographique.

(c) Brent Stirton: Getty Images/ National geographic.
Au-delà des guerres, sport et nature sont également récompensés à ce 59ème World Press. Brent Sirton qui présentait l’an dernier à Visa ses fabuleuses photos du trafic de l’ivoire dans la brousse africaine, emporte un prix au World Press avec son rhinocéros abattu dont le corps à la corne arrachée se décompose au soleil.

Et puis cette photo de joueurs de rugby signée Giovanni Capriotti, où s’entremêlent les corps pour la conquête du ballon ovale nous fait oublier les conflits du monde tout comme ce modeste salon de coiffure à Cuba de Tomas Munita qui nous rappelle s’il en était besoin que la misère est sans doute plus douce au soleil.
(c) Cuba: Tomas Munita.
(c) Francis Pérez: tortue emprisonnée dans un filet de pêche… Ténériffe.
– Aujourd’hui le World Press est rentré dans le rang et prime des photos chocs, du hard news, des images denses au message fort et direct comme la photo de l’assassinat de l’ambassadeur de Russie à Ankara. I Philippe Rochot
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