Des Chinois sur l’Everest : entre Covid et mousson… Ph Rochot.
- Philippe Rochot
- 1 juin 2020
- 4 min de lecture
La Chine ne manque jamais de rappeler un anniversaire : celui de la première ascension de l’Everest par le versant nord, autrement dit le versant tibétain, le 27 mai 1960 avec une expédition nationale aux allures d’offensive militaire. Si le parti a besoin aujourd’hui de crier cette victoire haut et fort c’est que 60 ans après, le monde de la montagne n’est pas encore convaincu par l’exploit des Chinois : récit approximatif, grimpeurs sans expérience, emplacement peu crédible des camps d’altitude et surtout, pas de photos, pas de preuve. Raison invoquée ? Les alpinistes chinois sont arrivés au sommet à quatre heures du matin, en manque d’oxygène, se traînant à quatre pattes sur la crête sommitale balayée par un vent violent. Ils sont redescendus vingt minutes plus tard alors qu’il faisait encore nuit, donc pas d’image possible pour éterniser l’exploit.

L’expédition chinoise de 1960 à l’Everest par le versant sino-tibétain.
Cette expédition était pourtant capitale : elle marquait la volonté de la Chine communiste d’affirmer sa présence sur les sommets de l’Himalaya. Mao Zedong voulait prouver que les Chinois étaient capables de « déplacer les montagnes ». A cette époque, le pays commençait à s’enfoncer dans la famine et traversait une période de crise profonde avec l’Union soviétique qui jusque-là fournissait gracieusement tout l’équipement des alpinistes. Mais les Chinois étaient déterminés. La différent avec Moscou ne les empêcha pas d’aller chercher du matériel ailleurs, en Suisse notamment quitte à le payer au prix fort…
Ce 27 mai 1960, quatre grimpeurs chinois sont donc censés avoir foulé la cime de l’Everest : un alpiniste, un scientifique, un cinéaste et un paysan tibétain formé pour l’occasion, véritable force de la nature devenu célèbre : le fameux Gonpo, arrivé le premier au sommet. Au retour il sera reçu par Mao Zedong en personne au stade des travailleurs de Pékin et acclamé par plus de 100 000 personnes.

Gonpo, vainqueur de l’Everest par le versant nord, reçu par Mao Zedong.
Les membres de l’expédition avaient déclaré avoir laissé sur place un drapeau chinois, un petit buste en plâtre du président Mao, ainsi qu’une note au crayon contenant leurs signatures sous un petit tas de pierres. Une expédition américaine qui a foulé le sommet trois ans plus tard n’a rien trouvé, ce qui peut se comprendre quand on connait l’épaisseur de neige qui tombe sur le massif chaque année. Les montagnards chinois étaient des hommes de valeur. Ils ont sans doute dit la vérité en annonçant leur victoire par le versant nord mais un doute subsistera toujours et les autorités chinoises doivent régulièrement l’effacer.
Pour le soixantième anniversaire de cette « victoire » chinoise sur l’Everest, le Parti communiste a donc lancé une vaste opération de propagande sur fond de recherche scientifique : mesurer de nouveau le point culminant de l’Everest, expérimenter le système 5G à des altitudes extrêmes et diffuser en direct à la télévision les images de l’assaut final.

L’Everest, versant chinois (tibétain) vu du camp de base mai 2020, (photo Xinhua)
Les circonstances n’étaient pas favorables en ce mois de mai 2020 : il fallait déjouer les pièges du coronavirus et respecter des règles sanitaires guère compatibles avec une expédition d’envergure. Le camp de base de l’Everest était d’ailleurs fermé et toute ascension interdite aussi bien côté chinois que côté népalais.
La météo non plus n’était guère optimiste : la traditionnelle « fenêtre » de beau temps précédant la mousson, qui se situe généralement autour du 20 mai ne s’est pas ouverte. De plus le cyclone Anpham qui sévissait dans la région a obligé l’expédition chinoise à faire deux fois demi-tour. Mais finalement le 27 mai dernier, 60 ans jour pour jour après la « victoire » chinoise à l’Everest par le versant nord, l’expédition plantait ses instruments de mesure au sommet.
Est-il vraiment utile de connaitre l’altitude exacte de l’Everest ? En 2005 déjà les Chinois avaient établi que le sommet se trouvait à 8844 mètres. Mais ce chiffre ne tient pas compte de l’épaisseur de neige qui recouvre la cime. Les Népalais par exemple rajoutent systématiquement quatre mètres pour fixer l’altitude de l’Everest ce qui reste approximatif. Avec cette expédition du soixantième anniversaire, les Chinois veulent surtout vérifier si le tremblement de terre du Népal de 2015 qui fit près de 10 000 morts a eu des conséquences sur la hauteur du toit du monde. D’où l’importance des échanges entre la Chine et le Népal.

L’Everest, versant népalais: (c) Ph Rochot
Tous les relevés ont été effectués avec du matériel « made in China » et notamment à partir du système de navigation par satellite Beidou, équivalent chinois du GPS. Toute la cartographie est de conception chinoise et les mesures seront toutes redéfinies en 3D. Les résultats seront publiés dans le courant de l’année et annoncés à la fois à Pékin et à Kathmandou.
Ce 60ème anniversaire de la première ascension de l’Everest par le versant nord est passé inaperçu, balayé par la pandémie de coronavirus ou par la relance de la guerre froide entre la Chine et les Etats-Unis. Il marque cependant la volonté chinoise d’aller de l’avant dans la maitrise, la connaissance et la conquête de la haute-montagne. Il montre aussi la détermination du régime d’étendre l’influence de la Chine au-delà de la barrière himalayenne, vers le Népal et l’Inde, en associant symboliquement ces pays à ses découvertes, même si Pékin reste bien entendu maître du jeu dans la région.
Philippe Rochot.
Lire aussi sur ce blog: “Les Chinois sous l’Everest, les tunnels de l’Himalaya…” https://philipperochot.com/2016/12/05/les-chinois-sous-leverest-les-tunnels-de-lhimalaya-philippe-rochot/
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