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« Divas arabes : de Oum Kalthoum à Dalida » ou la saga des déesses d’Orient : Institut du monde arab

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 14 janv. 2021
  • 6 min de lecture

L’expo devait être lancée en février 2020 mais la pandémie a eu raison de l’événement, programmé au 27 janvier 2021. Aucune garantie cependant de voir s’ouvrir le rideau de perles qui va nous faire pénétrer dans l’univers de ces divas d’Orient mais déjà une idée de ce qui attendra le visiteur et un rappel sur la vie de ces femmes.

Elles sont l’éclat et le reflet du monde arabe ; elles représentent son rythme de vie, ses joies, ses douleurs et ses fièvres. On les appelle les divas, terme italien plus précisément, qui désigne une cantatrice et une actrice. Elles ont pour nom Oum Kalthoum bien sûr mais aussi Warda, Asmahan, Fayrouz ou Samia Gamal sans oublier Dalida née en Egypte. L’Institut du monde arabe regroupe l’héritage de ces chanteuses et actrices dans une seule exposition, montrant au monde ce qu’elles ont apporté aux sociétés orientales mais aussi à notre culture. On peut écouter leurs chants, leurs concerts, voir leurs danses, leurs rôles, regarder les objets de leur vie quotidienne devenus objets de culte.


Oum Kalthoum est bien sûr en vedette. Près de cinquante ans après sa mort on l’entend encore sur la radio des chauffeurs de taxi du Caire ou de Damas. Personne n’a vraiment détrôné la diva égyptienne et surtout pas les vedettes actuelles du Moyen-Orient qui interprètent ses chansons.

Oum Kalthoum reste aussi présente dans toutes les causes du monde arabe. On retrouve son effigie sur la place Tahrir dès le début des révoltes en 2011 et les taggueurs aiment peindre son portrait dans les quartiers pauvres du Caire. L’exposition présente ses bijoux, ses pendentifs, ses étranges lunettes noires qui nous cachaient une partie de son visage. Elles atténuaient les souffrances occasionnées par un glaucome qui lui faisait fuir les lumières fortes. Pour cette raison elle avait renoncé aux projecteurs des plateaux de cinéma. 

Née dans un village perdu du delta du Nil, fille d’un imam qui animait les mariages de ses chants religieux, Oum Kalthoum représente vraiment le petit peuple d’Egypte qui vibre avec elle. C’est en ce sens qu’elle est éternelle.


Extrait de Oum Kalsoum for ever” de Ysabel Saïah Baudis.

L’exposition de l’IMA s’accompagne d’un livre fait d’images, de photos d’époque, de peintures et de citations : « Oum Kalsoum Forver » (Orients Editions) réalisé et composé par Ysabel Saïah Baudis, qui décrit tout cet univers autour de la chanteuse : « Elle continue d’influencer toute une génération de musiciens mais bien plus encore, elle est devenue un mythe, une muse universelle qui, au-delà de son domaine, inspire toute une génération de peintres, photographes, stylistes et artistes de rue. Aujourd’hui, elle vit toujours dans le cœur et l’art des grands et des petits… C’était une icône et elle est devenue muse. Un artiste grec par exemple a fait d’elle une série de portraits et le dessinateur Golo l’a mise en bande dessinées. »

Oum Kalthoum avait su conquérir le tout Paris en 1967 au lendemain de la guerre des Six Jours qui mit l’Egypte à genoux face à l’armée israélienne. Avec la bénédiction du Président Gamal Abdel Nasser, elle donna un concert à l’Olympia pour récolter des fonds pour son pays, obéissant à un sentiment patriotique sincère. On raconte que quand Bruno Coquatrix lui demanda combien de chansons elle comptait interpréter, elle répondit : deux… Le directeur de l’Olympia ne cacha pas sa déception, ignorant que chaque chanson d’Oum Kalthoum durait plus d’une heure trente. Finalement elle en chanta trois et la représentation se poursuivit jusqu’à trois heures du matin. Le général de Gaulle, populaire dans le monde arabe après avoir dénoncé l’offensive israélienne, se fendit même d’un message chaleureux : « J’ai ressenti dans votre voix les vibrations de mon cœur et du cœur de tous les Français. »


Fayrouz et Oum Kalthoum: année 1967. DR

La personnalité d’Oum Kalthoum n’empêche pas les autres divas de s’imposer dans cette exposition. La longévité de Fayrouz est aussi respectable que celle de la diva du Caire. La chanteuse libanaise a survécu aux épreuves du temps et des guerres d’orient. On continue d’entendre sa voix dans la rue, dans les maisons, les taxis, les hôtels, les boutiques, au Liban bien sûr mais aussi en Syrie, Jordanie et même Egypte. Avec Oum Kalthoum elle est la chanteuse qui a vendu le plus de disques dans l’histoire de la musique arabe. Son destin n’aurait pas été celui qu’on lui connait sans la présence de ses musiciens, les frères Rahbani et le soutien de son fils Ziad Rahbani. A l’âge de 83 ans, en 2017, elle sortait encore un album, composé cette fois de chansons occidentales.


Qui sait que Dalida était surnommée « la petite Italienne du Caire qui a réussi à Paris » ? Les biographes ne se sont guère étendus sur les années égyptiennes de la chanteuse, décédée en 1987 à l’âge de 54 ans et c’est un tort.  L’exposition de l’IMA et l’ouvrage de Jacqueline Jondot intitulé « Dalida en Egypte » (Orients Editions) nous rappellent qu’elle a passé son enfance et son adolescence dans la communauté italienne de Choubra. Elle a participé à des concours de beauté au Caire et fait ses débuts au cinéma avec le film égyptien dramatique : « le Sixième Jour ». En 1954, elle décrocha même le titre de Miss Egypte.

D’autres noms de cantatrices et danseuses d’orient résonnent dans nos mémoires et trouvent ici leur place comme celui de Samia Gamal, légende de la danse et du cinéma égyptien, au parcours digne d’un roman d’amour. Sa passion vécue avec le célèbre compositeur Farid El Atrache contribua à façonner son image. C’est lui qui écrivit la plupart des chansons de son répertoire.


Samia Gamal en Egypte: 1952. (DR)

Tout comme Oum Kalthoum, Samia Gamal a passé son enfance dans un village pauvre de la Haute-Egypte. Elle était fille d’un ouvrier agricole et d’une mère qui mourut lorsqu’elle avait sept ans. Elle commença par faire de la figuration dans un cabaret du Caire avant d’apparaître sur scène à l’âge de vingt ans. Le roi Farouk d’Egypte en personne la consacra même “la plus grande danseuse du monde arabe” et son amour vécu avec Farid el Atrache fera rêver plus d’une adolescente dans le monde arabe.

Il faut citer de même Asmahan, fille d’un syrien druze. Elle naquit au début du siècle dernier à bord d’un navire alors que ses parents fuyaient la Turquie. et tentaient de gagner Beyrouth. Sa mère lui apprit avec bonheur la musique et rapidement elle devint un prodige. Son frère ainé fit pourtant obstacle à sa carrière, la poussant vers le mariage et la vie de famille. Seul le divorce lui permettra de renouer avec la liberté quatre ans plus tard et de mener une vie mondaine entre nuits blanches et parties de poker.

Asmahan s’engage alors dans la comédie musicale et son talent lui ouvre les portes d’Hollywood. On va même la surnommer « la Marilyn du Moyen-Orient ». Sa vie bascule avec la Deuxième Guerre mondiale quand les Britanniques lui demandent d’utiliser ses relations pour faire pression sur des chefs Druzes afin qu’ils n’interviennent pas contre les alliés français et britanniques, forces occupantes en Orient. Est-ce cette démarche qui va lui coûter la vie ? Elle meurt noyée lorsque sa luxueuse Rolls-Royce se trouve précipitée dans les eaux du Nil.

Les services de renseignement britanniques, la Gestapo et même le roi Farouk ont été successivement soupçonnés d’avoir voulu l’éliminer. La mort de la chanteuse Asmahan est à classer dans les énigmes non résolues de l’histoire du monde arabe.


Le Caire est bien la plate-forme de rencontres et de diffusion de la culture arabe mais les divas ne sont pas forcément égyptiennes. Il faut citer Warda, dite « la rose algérienne », née à Paris où elle fera ses débuts mais qui exercera ses talents au Liban en raison de la guerre d’Algérie. Elle échouera finalement au Caire, attirée par les lumières de la grande cité du Nil. Elle interprète chansons d’amour et chants patriotiques. Son répertoire compte plus de 300 chansons. Elle a vendu des dizaines de millions d’albums et sa vie d’artiste mérite aussi de figurer dans cette exposition.

Les divas étaient aussi actrices comme sur cette affiche: Fayrouz dans “le vendeur de bagues” de Youssef Chahine. 

Toutes ces divas d’Orient nous donnent une autre vision de la femme, telle qu’elle a existé des années 20 aux années 70. Elles étaient chanteuses, danseuses, féministes et militantes. Elles étaient aussi actrices et même productrices de cinéma. Elles ont fait prospérer l’industrie cinématographique égyptienne, le Nilwood, la plaçant en tête des productions de films dans le monde arabe.

L’exposition est habilement montée en quatre parties : tout d’abord les femmes pionnières et féministes dans le Caire des années 1920, puis les divas de la période 1920-1970, suivies par les productions cinématographiques de Nilwood et les comédies musicales. En dernière partie on découvre le regard des artistes contemporains sur ces femmes qui ont marqué leur époque mais aussi la nôtre car leur héritage leur a survécu et demeure une référence.

Philippe Rochot

Divas arabes, de Oum Kalthoum à Dalida, Institut du Monde arabe, du 27 janvier 2021 au 25 juillet 2021 www.imarabe.org/fr/expositions/divas-arabes

DIVAS D’ORIENTS : Coffret contenant : “Oum Kalsoum Forever” d’Ysabel Saïah Baudis et “Dalida en Egypte” de Jacqueline Jondot


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