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Du Tibet à Paris : les « offrandes » de Gao Bo (Maison Européenne de la Photo)… Philippe Rocho

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 7 févr. 2017
  • 4 min de lecture

C’est d’abord un mantra lancinant qu’on perçoit avant de découvrir ses œuvres. Gao Bo aime utiliser toutes les formes d’expression, visuelles et sonores et le chant bouddhiste en est une. Le Tibet tient une place essentielle dans son travail, depuis le voyage qu’il effectua dans les années 2000 et sa rencontre fascinante avec les populations des hauts-plateaux.


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Dix ans après, l’artiste reprend dans ses « offrandes » ses portraits de Tibétains aux regards sombres, interrogatifs, muets, ces visages couverts d’une étoffe blanche censée protéger les voies respiratoires de la poussière des vents de sable du printemps et de la pollution qui a gagné le pays des neiges. Ces masques, fabriqués en Chine et portés comme des baillons, peuvent apparaître comme des symboles d’oppression, de silence imposé, d’éternel mystère qui entoure la cause tibétaine. Dans cet esprit Gao Bo met en parallèle d’anciens masques de cérémonie tibétains et ces visages couverts de vulgaires protections de toile.



Gao Bo à la Maison européenne de la photo (c ) Ph Rochot.

Dix ans après, tout autre artiste aurait cherché à renouveler l’image en retournant sur place. Gao Bo revient au contraire à sa photo d’origine en lui apportant des éléments personnels de vie, des écrits, des signes, des objets, partant du principe qu’aucune œuvre n’est définitive et qu’elle se transforme avec le temps, tout comme sa vision du monde. Il n’hésite pas ainsi à peindre sur ses tirages, à les crayonner, à répandre de la cire et même à les recouvrir de son propre sang en un geste volontairement iconoclaste. La représentation humaine n’est parfois plus visible mais elle est transcendée et c’est ainsi que l’artiste nous guide à travers sa marche du temps.


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J’ai encore en mémoire les portraits de condamnés à mort que Gao Bo avait présentés dans les années 2000 aux rencontres d’Arles : visages immenses de douze hommes voués à la peine capitale, parfois les yeux ouverts sur un fond noir, parfois les yeux fermés sur un fond blanc, accrochés à l’envers comme si déjà ils n’appartenaient plus à notre monde. Gao Bo a pu parler à ces condamnés juste avant leur exécution et même leur serrer la main. Dans un geste de défi face au destin, il va jusqu’à bruler leur image pour en récolter les cendres : geste violent, tentative d’éliminer toute trace de la mort d’un homme tué de la main d’un autre homme, défi lancé à sa propre création mais qui nous projette vers une forme d’éternité.


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Le commissaire de l’exposition François Tamisier écrit à ce sujet : « Aussitôt faite la prise de vue, Gao Bo s’acharne à la transformer, à y inscrire sa peinture. Ratures, griffes, coulures, l’image iconique humaine se floute jusqu’à disparaître. Puis les mots envahissent l’image libérée de sa représentation, mêlant interrogation et réalité ultime. »

Le souvenir de la révolution culturelle, de ses tribunaux populaires et de ses exécutions publiques auxquelles il était contraint d’assister a souvent hanté l’artiste, tout comme la mort brutale de sa mère qui s’est jetée sous un train devant ses yeux alors qu’il avait huit ans. « Je voulais retrouver mes souvenirs d’enfance » dit-il très simplement. Au-delà de l’image il écrit sur le mur la légende de son œuvre dédiée à celle qui lui a donné la vie, morte à l’âge de trente ans: « Pour ma mère qui nous a quittés trop tôt ». L’existence misérable de cette femme est représentée par une souche d’arbre éclatée devant laquelle il a déposé un coussin blanc ensanglanté : fissures, déchirements, horreurs d’un drame impossible à oublier.


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Que peut-il bien rester dans la tête d’un homme qui a vécu son enfance dans les crimes, la misère et les drames familiaux engendrés par la révolution culturelle ? La tourmente mais aussi le désir de quiétude qu’il va trouver dans les monastères tibétains ou même dans la mort. Des œuvres exposées à la Maison Européenne, je retiendrai encore celle-ci intitulée « l’autre rive » où de fragiles barques de bois lestées de pierres tombales, conduisent vers des visages aux yeux exorbités.


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Gao BO attribue un rôle essentiel à la matière qu’il utilise pour réaliser ses œuvres. Il faut voir l’artiste dans son atelier de la banlieue de Pékin, en blouse ou en tablier, pétrir de ses mains cette matière qui va prendre forme afin de nous prouver qu’elle est indissociable de la création artistique. Car à ses yeux, il n’y a pas d’un côté l’œuvre d’art et de l’autre la matière. La matière participe à la création. « La matière est un sujet en soi » nous dit-il.


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Gao Bo dans son atelier en banlieue de Pékin. (c) Bostudio.

Ses portraits de condamnés à mort ou de Tibétains dépassent deux fois la taille d’un homme: œuvres monumentales, forcément monumentales, réalisées à la chambre grand format et qui ne trouvent leur place que dans les vastes ateliers de l’artiste, dans cette atmosphère brumeuse et paisible de la banlieue de Pékin. Ses œuvres sont à la taille de « l’offrande » qu’il veut faire: « offrande au peuple du Tibet, offrande au Mandala, offrande aux figures disparues, offrande à ma mère… » Ces portraits se retrouvent enfin sur des pierres éparpillées, incrustés dans la roche, dans le caillou, proches de la terre. Ces visages vont ainsi du géant à l’infiniment petit, comme s’il était impossible de les situer dans la dimension de l’univers.

Il serait déplacé, vulgaire de vouloir comparer l’œuvre de Gao Bo à celle des artistes chinois contemporains qui jouent sur la provocation comme Aï Weiwei. Dans le monde de l’art chinois, Gao Bo apparaît bien comme un cas d’école unique.

Philippe Rochot


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