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Expos “Photo Saint-Germain” : entre Marguerite Duras et Tina Modotti…

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 22 déc. 2020
  • 5 min de lecture

Là où Paris-Photo et le Salon de la Porte de Versailles ont jeté l’éponge, Photo Saint-Germain maintient le cap pour la rentrée 2021 et la date du 7 janvier: belle occasion de saluer ses dix ans d’existence.

Ces rencontres de la photo artistique ont l’avantage d’être réparties sur plusieurs sites d’exposition : une vingtaine de galeries d’art, quatre centres culturels et l’Académie des Beaux-arts (ouverte depuis le 15 décembre) d’où une certaine souplesse dans la gestion des mesures sanitaires.


(c) Flore: courtesy FloreGalerie.

« L’odeur de la nuit était celle du Jasmin » : le titre de la série signée de la photographe franco-espagnole Flore, exposé à l’académie des Beaux-arts de Paris nous transporte de suite au-delà des continents, vers l’Indochine et son empreinte coloniale, vers les rizières et les plantations du Vietnam ou du Cambodge. L’objectif de l’auteure était de donner une version photographique des textes de Marguerite Duras, transformer en images des tableaux littéraires. En clair, faire comme si les photos avaient été prises il y a près d’un siècle.

L’artiste qui se fait appeler simplement « Flore » a pleinement réussi son pari : « emmener les gens dans un monde qui n’existe plus ». Pas de photos choc, brutales, peu de personnages, pas de couleurs, pas de contrastes appuyés mais un travail sensible, délicat où l’auteure transforme son œuvre en photographies d’époque afin de traduire en images les lieux décrits par Marguerite Duras. Elle est à l’aise dans cette atmosphère de brumes, de rizières à perte de vue, de maisons coloniales. Les grands-parents de Flore ont vécu en Indochine dans la première moitié du XXème siècle, à la même époque que l’auteure de « L’amant » et cette atmosphère l’a toujours fait rêver.


(c) Flore: courtesy FloreGalerie.

Le visiteur qui guetterait des photos prises à la chambre sera déçu. Flore opère avec un vieil appareil germano-russe qui nous replace précisément dans la photographie d’après-guerre. La simple prise de vue apporte déjà la patine du temps. Mais l’auteure consacre une partie importante de son travail à la post production, afin de sortir des tirages argentiques en chambre noire, colorés au thé et cirés qui nous replacent dans l’époque qu’elle cherche à retracer. Elle utilise à la fois des méthodes très anciennes et également des plus modernes pour obtenir ce résultat.

Cette exposition d’une soixantaine de photos a le mérite de rassembler tous les éléments qui font la richesse d’un travail photographique : une histoire, un itinéraire, une qualité de prise de vues, une référence à un auteur, une profonde recherche au niveau des tirages avec une devise : utiliser toutes les technologies pour nous replacer dans un temps perdu et retrouvé.

Ailleurs dans le quartier de Saint-Germain, le visiteur sera heureux et rassuré de retrouver des valeurs sûres avec la production de Tina Modotti (1896-1942) au Centre culturel italien. L’histoire la présente comme une militante révolutionnaire de la première moitié du siècle dernier, actrice de cinéma muet mais aussi mannequin et surtout femme d’image, devant et derrière la caméra. Avec une quarantaine de clichés exposés, Tina Modotti nous livre son univers fait de natures mortes, de portraits de paysans mexicains, de femmes et d’enfants dans la misère mais aussi des portraits d’elle-même. Elle n’a jamais oublié qu’elle fut ouvrière du textile à l’âge de 12 ans dans la ville italienne d’Udine et quelle devait nourrir sa famille alors que son père avait émigré à San Francisco. Elle en a gardé un sentiment de révolte qui ne s’apaisera pas, même quand elle s’installe à son tour aux Etats-Unis à l’âge de 17 ans.


Tina Modotti: le marionnettiste.

Son deuxième mari lui enseignera la photographie, un outil qu’elle entend mettre au service de la révolution artistique et sociale. Son passé, ses convictions, sa révolte, vont alimenter son inspiration, surtout quand elle découvre le Mexique où son mari expose. A travers son œuvre, on sent qu’elle a connu l’atmosphère de violence que traversera ce pays dans les années trente.

En 1930, Tina Modotti vit à Mexico avec un exilé cubain qui sera assassiné en pleine rue alors qu’elle marchait à ses côtés. C’est un crime politique qui sera utilisé par le gouvernement pour discréditer les communistes. L’affaire se retourne contre Tina Modotti. On perquisitionne chez elle, on trouve ses photos de nus. Elle devra comparaitre devant la justice comme une « communiste dépravée ». Elle est discréditée alors que sa réputation à l’étranger est confortée par le succès de son travail. Expulsée vers l’Europe, elle doit affronter la montée du fascisme. Dans l’Espagne franquiste, elle soutient la lutte des brigades internationales. Jusqu’à sa mort en 1942 au Mexique, elle va nouer des relations avec les révolutionnaires de tous pays mais délaisse la photo quelques années avant sa disparition.


Tina Modotti et les années Mexique.

Au-delà des témoignages historiques, l’expo « lusted men » (Galerie 8 rue Perronet) nous fait découvrir un monde guère exploré : celui des photographies érotiques d’hommes, peu montrées, peu commentées, peu exploitées et affichées. La femme est en général le sujet de l’image érotique. Le collectif « lusted men » (que l’on pourrait traduire par « des hommes désirés ») a voulu ouvrir ce domaine au sexe masculin, faire sortir les images de leur cachette pour les exposer sans honte, sans commentaires, juste pour la beauté des corps et l’expression qui en ressort. L’initiative est osée mais sincère et décomplexée. Le mouvement a même lancé une collecte de photos érotiques d’hommes dont une partie figure dans l’exposition de la galerie de la rue Perronet.


Lusted man: (c) Marie Rouget.

Qui se souvient de Daleside, quartier de la banlieue de Johannesbourg, souvent cité après la montée en puissance de l’ANC de Nelson Mandela ?  Cette petite banlieue industrielle abrite une population principalement afrikaner. Le photographe sud-africain Lindokuhle Sobekwa qui a grandi dans la commune voisine a toujours été fasciné par la vie de cette banlieue. Il s’est associé au photographe français Cyprien Clément-Delmas pour faire le portrait de ces habitants qu’on pourrait désigner comme « petits blancs », mineurs ou paysans pauvres, descendants des colons européens arrivés au 17ème siècle.


Vivre à Daleside: Cyprien Clément-Delmas.

Ces Afrikaners qui vivent là ne sont souvent pas mieux lotis que les membres de la communauté noire et font face finalement au même destin. Il faut du temps pour les aborder et faire leur portrait. Ils sont méfiants, susceptibles, parfois hostiles, vivant dans un monde clos. L’intérêt de cette démarche photographique est d’être réalisée par un photographe blanc et un photographe noir où chacun aborde à la fois sa propre communauté et la communauté de l’autre.


Soweto: (c) Andrew Tshabangu.

On pourra rapprocher cette démarche de celle d’un autre photographe sud-africain, Andrew Tshabangu dans « l’évidence des choses » (Septième Gallery, rue de l’Université). L’homme est né à Soweto et c’est naturellement qu’il a voulu témoigner de la vie sociale dans ce bidonville de la révolte. Il a fait un peu tous les métiers : acteur d’art dramatique, employé de banque, professeur, sans même se prétendre photographe. L’intérêt pour lui est de pointer des instants de vie dans cet univers qui lui est propre : celui de la communauté noire sud-africaine de Soweto.


Voici quelques exemples que nous offrent les galeries pour ces dix années de « Photo Saint-Germain » . On peut y voir les grandes tendances de la photographie contemporaine. Si les conditions sanitaires le permettent elles ouvriront leurs portes le 7 janvier.

Philippe Rochot

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