John Cantlie ou le combat solitaire d’un otage de Daech – Philippe Rochot –
- Philippe Rochot
- 21 déc. 2016
- 3 min de lecture
Un confrère qui milite dans une association de soutien aux otages me confiait dernièrement qu’il n’avait jamais entendu parler de John Cantlie. C’est dire si le silence et l’indifférence face au sort de ce journaliste britannique enlevé par Daech il y a plus de quatre ans se sont progressivement installés dans l’opinion.
Les attentats de Berlin, Nice, Paris, les offensives sur Mossoul, Alep ou Palmyre ont fait passer au troisième plan le destin de cet homme qui parvient à survivre entre les mains de gens totalement imprévisibles.

John Cantlie sur le front de Mossoul: Novembre 2016.
Le traitement réservé à John Cantlie par Daech en fait un cas unique, jamais vu dans l’histoire des otages puisque l’organisation utilise ses compétences de journaliste pour en faire le reporter de choc du groupe terroriste. Il apparait donc dans des vidéos en train de relater les bombardements de la coalition sur les cités du nord de l’Irak tenues par l’Etat islamique. Il raconte la vie quotidienne sur les marchés de Mossoul comme le ferait n’importe quel envoyé spécial d’une chaine de télévision occidentale. Sauf que les terroristes l’ont à l’œil et qu’il ne dit pas ce qu’il veut, ni ce qu’il voit et encore moins ce qu’il endure. C’est le jeu diabolique de Daech : utiliser un reporter otage pour diffuser une information qui va se retourner contre le monde d’où il vient.

Capture d’écran du site de solidarité “Free John Cantlee”. (Twitter)
Mais Cantlie n’a guère le choix. Jouer ce jeu est pour lui une question de survie qui peut lui permettre d’acheter sa liberté. Il le dit d’ailleurs dans l’un de ses messages filmés : « Je sais ce que vous pensez. Vous vous dites: il fait ça parce qu’il est détenu, il a une arme sur la tempe, il est forcé de le faire, n’est-ce pas? Eh bien, c’est vrai, je suis prisonnier, je ne peux pas le nier.» Et d’ajouter : «Puisque j’ai été abandonné par mon gouvernement et que mon sort est entre les mains de l’Etat Islamique, je n’ai rien à perdre. Peut-être vais-je vivre, peut-être vais-je mourir. Mais je veux profiter de cette opportunité pour partager des faits que vous pouvez vérifier.» Dans sa dernière vidéo datée du 16 décembre 2016, on le voit devant les ruines d’un quartier qu’il définit comme étant le centre de Mossoul, avec en arrière-plan des ruines et une série de véhicules calcinés. Il décrit à sa manière les destructions résultant des bombardements de la coalition, « ce carnage dit-il, qui fait penser à un film de Spielberg ». Il raconte ensuite que les occidentaux se trompent en frappant cette cité du nord de l’Irak où vit une population, alors que les combattants sont plus loin, sur le front…
Cantlie devant l’université de Mossoul bombardée. 2016.
Cantlie est-il vraiment abandonné ? Des contacts, à défaut de négociations existent toujours en sous-main aux dires des autorités britanniques et l’homme surgira peut-être un jour vivant des ténèbres de Daech. Dans ses révélations, le lanceur d’alerte Edward Snowden confirme que Britanniques et Américains travaillent bien aux libérations d’otages et qu’ils ont même aidé les Français. L’espoir est pourtant mince, le fil ténu mais ce rôle de journaliste en action qu’on lui a ordonné de jouer est un des éléments qui le raccorde encore à la vie. Il aurait tort de ne pas l’exploiter.
Par la durée de sa capture, la souffrance dans l’épreuve qui se lit sur son visage à chaque vidéo diffusée sur la toile, John Cantlie entre dans le monde des otages de très longue durée comme l’est actuellement le journaliste américain Austin Tice, détenu lui aussi en Syrie et dont on suppose qu’il est toujours vivant. Ces détentions sont à mettre sur le même plan que celles de Terry Anderson (six ans détenus par le Jihad islamique au Liban) ou Ingrid Bettencourt (six ans entre les mains des FARC en Colombie).

Bannière pour la libération d’Austin Tice: musée de la presse New York. 2016 (AFP)
Daech a déjà assassiné plusieurs occidentaux : les Américains Peter Kassig, James Foley et Steven Sotloff, l’Écossais David Haines et l’Anglais Alan Henning, ainsi que deux otages japonais sans compter les dizaines de citoyens syriens ou Irakiens, pendus, égorgés, abattus froidement. La partie qui se joue pour John Cantlie est donc très serrée. Elle n’est pas pour autant perdue.
Philippe Rochot (site photo: philippe-rochot.book.fr)
*John Cantlie a été capturé une première fois par des djihadistes le 19 juillet 2012 au nord de la Syrie en compagnie du photographe néerlandais Jeroen Oerlemans. Les deux hommes seront finalement libérés par l’Armée syrienne libre le 26 juillet. John Cantlie est retourné en Syrie en novembre 2012 avec le journaliste américain James Foley, mais tous deux ont été capturés près de la frontière turque. James Foley sera exécuté le 18 août 2014.
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