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Journalistes ! L’Europe est-elle encore fréquentable ? (UNESCO) Ph Rochot.

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 6 déc. 2019
  • 3 min de lecture

L’assassinat de Daphné Caruana qui enquêtait sur la corruption à Malte, est encore présent dans tous les esprits, deux ans après sa disparition. Les multiples menaces contre les journalistes dans la plupart des pays d’Europe y compris en France, le mépris et la haine affichés sur les réseaux sociaux vis à vis des médias, la confusion entretenue par les réseaux complotistes qui se nourrissent des infox, déstabilisent une profession déjà fragilisée, sinistrée et largement discréditée.

Daphné Caruana capt Arte

Daphné Caruana-Galizia, assassinée le 16 oct 2017 à Malte, devenue symbole du combat des journalistes contre la corruption. (capture écran Arte)

L’Association des Journalistes Européens a eu la bonne idée de consacrer au sujet une journée d’entretiens au siège de l’UNESCO à Paris. D’emblée sa présidente pour la France, Véronique Auger donne le ton : « On ne peut plus faire notre métier correctement. La pensée simpliste règne en maître ; l’objectif des médias est de faire le buzz. » Autrement dit, les rédactions elles-mêmes ont leur part de responsabilité dans cette course à l’information. Les violences policières contre les médias qui touchent les manifs de Catalogne, de Hongrie, de Pologne ou de France où trois reporters ont été blessés par des tirs de grenades la veille même de cette conférence, sont également dénoncées. Le péril va pourtant bien au delà et les véritables accusations vont vers les pouvoirs en place. La corruption des gouvernements est symbolisée par la République de Malte, petit pays mais état européen, dont le cas est présenté à cette conférence de l’UNESCO comme emblématique. La présence du fils de Daphné Caruana, Andrew, lui-même journaliste réfugié en Suisse après l’assassinat de sa mère, a permis de relever le débat et de lui donner sa dignité.


Andrew Caruana Galizia, fils de Daphné et lui-même journaliste lors de la conférence de l’UNESCO. (c) Ph Rochot On apprend ainsi que pour faire son métier de journaliste Daphné avait dû démissionner de son journal qui refusait de publier ses enquêtes et créer son propre blog qui dérangeait le pouvoir en place. Deux ans après sa mort dans l’explosion de sa voiture piégée, on sait qu’un homme d’affaire, lié au pouvoir central aurait commandité son assassinat « afin de la faire taire définitivement ». Andrew Caruana garde un certain flegme quand il parle de cette tragédie. « Les articles qu’écrivait ma mère sur la corruption étaient publiés dans son blog alors qu’ils auraient dû trouver leur place dans un grand journal d’investigation. Le crime organisé est infiltré au sein du pouvoir. Sans les révélations des Panama Papers, ces gens auraient continué à faire ce qu’ils voulaient. Pour moi, la plus grande menace est là, c’est l’interaction entre le pouvoir et la grande criminalité. Les journaux ont même reçu des menaces : s’ils publiaient les articles que ma mère écrivait sur son blog, ils seraient sanctionnés, privés de publicité. Les gens avaient le sentiment que ma mère était libre d’écrire ce qu’elle voulait, ce qui est faux ; elle écrivait malgré les menaces. Les journalistes doivent continuer son travail. Par exemple il faut enquêter sur la loi anti-blanchiment qui se met en place. 27 poursuites en diffamation courent encore contre ma mère dix ans après sa mort mais cela ne doit pas les décourager ». Si l’on ajoute à ce drame l’assassinat d’un journaliste en Slovaquie en novembre dernier, on peut constater que l’Europe n’est plus une région sûre pour la profession et la liberté de la presse.


Slovaquie: l’assassinat du journaliste Jan Kuciak a provoqué une crise politique et la démission du chef du gouvernement et de deux de ses ministres. (capt écran Euronews)

La situation des médias en Europe se dégrade. Des politiques appellent leurs partisans à s’en prendre aux journalistes, le pouvoir s’ingère dans le système et utilise l’arme du harcèlement judiciaire. On assiste à une escalade des menaces numériques, à un cyberharcèlement qui vise à museler les journalistes et à manipuler le flux d’information. Ces menaces touchent surtout les femmes : 2/3 des femmes interrogées ont subi des abus en ligne. Les associations composant la plateforme du Conseil pour la Protection des Journalistes ont constaté plus de 250 violations de la liberté de la presse durant ces cinq dernières années dont 14 assassinats de journalistes. Leur nombre a augmenté de 18% en cinq ans.


Les médias sur la sellette durant les manifestants de gilets jaunes. (c) Ph. Rochot

Des intervenants comme Otmar Lhodynsky, président de l’Association Européenne des Journalistes constatent que des partis comme l’AFD en Allemagne n’hésitent pas à employer le mot « lugenpresse », la presse du mensonge, tel qu’il fut utilisé durant l’époque nazie pour dénoncer ce qui n’était pas la vérité officielle. Coup de patte aussi à Boris Johnson premier ministre britannique qui dit-il « a pavé la voie vers le Brexit avec des fakenews. »

Pas mal de généralités balancées à ce public de quelque 200 personnes appartenant au monde des médias européens mais aussi des réflexions et des exemples révélateurs. Emmanuel Hoog, ancien patron de l’Agence France Presse nous fait sentir qu’il ne peut y avoir de presse libre sans modèle économique : « Quand la fonction de journaliste est dérèglée, dévaluée, que le rapport entre pouvoir politique et économique est faussé, la démocratie est menacée. L’argent qui finançait le système n’est plus là ; est-ce possible de fonctionner sans argent ? Le service public ne peut pas remplacer à lui seul l’ensemble des médias privés et « indépendants ». On a entendu avec compassion le témoignage de ce journaliste grec réfugié en France qui a dû fuir son pays pour avoir dénoncé dans son journal un trafic de migrants. La police elle-même lui a dit qu’elle ne pouvait le protéger et qu’il valait mieux qu’il aille se réfugier ailleurs…


Paris 2018: manifestation de journalistes pour la protection des sources. (c) Ph Rochot

Aux frontières de la Russie, l’Ukraine est à elle seule un exemple parlant des menaces qui règnent sur la liberté de la presse en Europe. Ruslan Deynychenko directeur du site « Stop Fake » se félicite de son action qui consiste à faire barrage à la propagande russe sur l’Ukraine et notamment à préciser la responsabilité des Russes dans la tragédie de l’avion de la Malaisian Airlines abattu par un missile qui ne pouvait venir que du côté russe. « On a pu éduquer les Ukrainiens dit Ruslan, seuls 5% de la population fait aujourd’hui confiance aux médias russes et le gouvernement ukrainien a interdit les réseaux et les télévisions russes en Ukraine. » Comment expliquer cette méfiance envers les médias qui pollue la profession de journaliste en Europe et dans le monde ? J’ai retenu la version de Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières

« Il y a aujourd’hui concurrence entre publicité, propagande d’Etat, communication, information, tout est traité dans le même sac par les algorithmes. On ne distingue plus l’information de la désinformation ». Philippe Rochot

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