Kenizé Mourad: “Au pays des purs”. Ph. Rochot
- Philippe Rochot
- 13 mars 2018
- 3 min de lecture
Le monde s’inquiète du développement de la puissance nucléaire de l’Iran ou de la Corée du nord mais beaucoup moins de la force atomique qu’entretient le Pakistan. Or le pouvoir d’Islamabad est faible, le pays peu stable donc vulnérable. Imaginer qu’un groupe terroriste puisse s’emparer d’un engin nucléaire n’est pas une aberration. Kénizé Mourad est partie de cette idée pour développer l’intrigue de son dernier roman : « Au pays des purs ».
Une journaliste française enquête sur les risques d’un détournement possible de la bombe atomique par des terroristes. Elle parvient à pénétrer une organisation extrémiste mais sera finalement prise en otage. Durant son enquête, elle a pu mesurer la complicité qui existe entre le pouvoir pakistanais et certaines organisations : « les services secrets pakistanais soutiendraient les terroristes pour pouvoir les employer contre l’ennemi indien mais ils ne les contrôlent pas. » Ce serait le cas au Cachemire où les services secrets de l’armée pakistanaise utilisent le mouvement terroriste Lashkar-e-Taïba, pour lutter contre la présence indienne. Ce groupe serait même à l’origine de l’attentat de Bombay qui fit 200 morts en novembre 2008.
Pakistan: prière de rue. (PR)
A mon sens, l’intérêt de l’ouvrage ne réside pas dans une intrigue où se mêlent suspense et romantisme mais dans les situations rencontrées et décrites de façon magistrale par une romancière qui a le mérite d’écrire sur un continent qu’elle connaît. N’est-elle pas fille d’une mère ottomane et d’un père indien ? A travers Anne son héroïne, Kenizé Mourad nous fait découvrir un Pakistan peu connu qui va bien au-delà des clichés habituels délivrés et entretenus par les rédactions parisiennes. La connaissance de l’auteur sur ce « pays des purs », (traduction littérale du mot Pakistan tel que le baptisa son fondateur Mohamed Ali Jinnah), nous permet de mieux comprendre le fonctionnement du pouvoir, le rôle des militaires, des réseaux parallèles ou des groupes terroristes, mais aussi et surtout de la société pakistanaise.
Pakistan, Peshawar, scène de rue. (PR)
J’ai relevé ces passages qui nous aident à briser les schémas que nous avons sur ce pays et mieux connaître le contexte… « Anne se dit qu’en effet le scénario irakien qui a donné naissance à Daech – la conjonction de la pauvreté, d’agitateurs islamistes et de militaires mécontents – pourrait se répéter. Sauf qu’au Pakistan c’est beaucoup plus grave. Justement parce qu’il y a la bombe. » Les chrétiens du Pakistan étaient tenus pour des « collabos » durant la présence britannique dans l’empire des Indes car ils se voyaient accorder des postes de confiance : le père Da Souza, curé à Lahore précise : « Environ trois millions, plus de 2% de la population et la plus forte proportion réside ici à Lahore. La ville et ses alentours comptent cent trente églises, anglicanes ou catholiques. (…) Le Pakistan est une société schizophrène. Les élites élevées à l’anglaise adoptent ou essaient d’adopter l’allure et les manières de la haute société britannique. En cela nos écoles sont très utiles. Elles apprécient aussi le dévouement des infirmières chrétiennes, nombreuses dans les hôpitaux. Mais en dehors des métiers hospitaliers et de l’enseignement, nous avons peu d’ouvertures dans d’autres branches. En réalité elles nous méprisent. »
– Sur les femmes paysannes qui apparaissent sans voile : « Pour travailler la terre elles doivent être libres de leurs mouvements explique Hamid. D’ailleurs dans les milieux modestes, le voile correspond à une ascension sociale : il signifie que la femme n’a pas besoin de travailler et qu’elle est un trésor que le mari garde caché à la convoitise des autres. » – Sur l’armée pakistanaise (propos de Jamal) : « Il y a dans l’armée comme dans toute la société pakistanaise, de la sympathie pour les Talibans afghans qui se battent contre l’OTAN, considérée par tous ici comme une force d’occupation. » Sur les tueries qui ont accompagné le partage de l’Inde : « Lahore demeurait relativement calme, tout le monde étant persuadé que la ville allait rester en Inde. C’était en effet une ville hindoue, même si la majorité de la population était musulmane. Les grosses fortunes, le commerce étaient aux mains des Hindous, ils habitaient de splendides maisons, étaient avocats, docteurs… Les musulmans fortunés, eux, habitaient plutôt la campagne où ils possédaient de vastes domaines. » – Sur le port de Gwadar, dans la province du Balouchistan passé pratiquement sous le contrôle des Chinois : « Gwadar n’est pas seulement un port commercial, les Chinois en ont fait un poste d’observation pour toute la région et ils ont bien l’intention de s’en servir comme escale pour leur flotte militaire. » – Sur les combats intérieurs dans l’Afghanistan voisin : « Lorsque les Afghans se battaient contre l’occupation soviétique, vous les appeliez combattants de la liberté. Maintenant qu’ils se battent contre l’occupation occidentale, vous les appelez terroristes. »
Sur la vallée de Swat, endroit idyllique…Karim : « Ce qu’on appelle ici, c’est la vallée de Swat, qu’on nomme aussi « la Suisse du Pakistan ». C’est à environ 300 km au nord de Lahore., une haute vallée au milieu des montagnes de l’Hindu Kuch, un endroit sauvage absolument superbe et vu la sinistre réputation de notre pays, préservé des touristes – il grimace – c’est sans doute le seul aspect positif du terrorisme ! »
Bonne lecture !
Philippe Rochot
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