Koudelka à la BNF: une vie en ruines… Ph Rochot
- Philippe Rochot
- 24 sept. 2020
- 3 min de lecture
Le photographe peut-il retrouver la quiétude en photographiant des ruines ? On a pu le penser en voyant les images des vestiges romains de Baalbek réalisées par le grand reporter de guerre DonMcCullin. On le retrouve cette fois avec le travail monumental de Josef Koudelka sur les sites romains du bassin méditerranéen, exposés à la Bibliothèque Nationale de France.

Timgad. Algérie 2012. (c) Josef Koudelka/ Magnum.
Koudelka pour nous c’est les gitans, les Roms, les violons tristes et nostalgiques qui viennent réveiller les campagnes d’Europe centrale, les gens du voyage qui sillonnent les routes, les femmes aux fichus colorés portant jupes et bas de laine, les paysans vêtus de noir et priant la vierge. Koudelka, c’est aussi le coup de Prague, l’intervention soviétique en août 1968 qui met fin au printemps d’un peuple. Koudelka est là, sur la place Venceslas, quand les étudiants haranguent les soldats du Pacte de Varsovie dans leurs blindés en leur demandant de rentrer chez eux. Il est là quand la foule brûle un char soviétique et quand l’armée rouge tire sans sommation sur les manifestants. L’histoire retiendra ses images même si à l’époque il ne les a pas signées pour ne pas être inquiété. Il fut l’un des rares reporters présent sur place. Normal, c’était son pays, sa patrie, sa cause. Ce fut aussi le déclic qui lui fit demander l’asile politique à la Grande-Bretagne.

Temple d’Hercule: Amman. Jordanie. (c) Josef Koudelka/ Magnum.
Le Koudelka photographe de ruines est moins connu, plus discret, moins exposé alors que voilà trente ans qu’il se livre à ce genre d’exercice. Le Centre National de la Photographie n’en fait pas même mention alors que c’est cette passion qu’il étale aujourd’hui sous les vastes plafonds de la BNF. Nous dirons donc que c’est son jardin secret qui se révèle au grand jour.
Koudelka a appris la photo à Prague en travaillant comme photographe de plateau. Sa seule lumière était celle des projecteurs : pas de soleil, un horizon qui bute sur des rideaux, des décors, des machines, limité à quelques dizaines de mètres. La Tchécoslovaquie, pays sans accès maritime était un territoire trop étroit, fermé, pour celui qui rêvait de mers et de grands espaces. Le bassin méditerranéen et son histoire étaient capables de satisfaire sa curiosité et les ruines romaines de raconter l’histoire de notre vieux continent.

Myra. Turquie. (c) Josef Koudelka/Magnum.
Josef Koudelka a parcouru ainsi plus de 200 sites du pourtour méditerranéen à travers 19 pays : l’Espagne, la Libye, l’Algérie, la Grèce, la Syrie, la Croatie, l’Italie etc. Mais surtout il est revenu régulièrement dans ces amphithéâtres de pierres, ces allées impériales, ces temples toujours debout pour y capter de nouveaux angles et de nouvelles lumières, suivre l’évolution des ruines et leur destruction progressive par l’homme et les caprices du temps…
L’instant décisif chez Koudelka n’est pas celui du mouvement que le photographe va figer, éterniser ; il est celui de la bonne lumière. C’est une école de patience. L’homme attend d’abord que le site soit vide. Il ne veut personne à l’image : pas de visiteurs, pas d’archéologues, pas de vigiles, pas même d’animaux. Et là il guette le lever ou le coucher du soleil, l’évolution de l’éclairage qui va mettre en valeur telle ou telle statue, tel visage, telle colonne. Souvent il reconnait qu’il perd patience. Il nous livre alors cette remarque délicieuse : « on ne peut pas donner d’ordres au soleil ». Et il attend.

A l’expo BNF… Josef Koudelka/Magnum.
Le petit Josef commença sa carrière avec un Rolleiflex 6 X 6 pour passer plus tard à un moyen format comportant un objectif panoramique. En 2008 il a craqué pour le numérique. Koudelka est resté fidèle à la prise de vue en noir et blanc mais il fait partie des photographes qui n’ont pas la nostalgie du film et se satisfont largement des nouvelles technologies qui s’imposent aujourd’hui pour faire passer leur message.

Koudelka expose 110 photos de ruines dans la galerie n°2 de la BNF. La scénographie de Jasmin Oezcebi contribue largement à donner vie aux images de ruines exposées : salle plongée dans le noir, œuvres dépassant les 2 mètres de largeur ou de hauteur, photos exposées à l’horizontale comme pour nous donner la perspective d’un champ de ruines. Josef Koudelka a décidé d’offrir 170 tirages de sa série « Ruines » au cabinet des Estampes et de la photo de la BNF.
« Les ruines, dit Josef Koudelka, ça n’est pas le passé, c’est l’avenir qui nous invite à l’attention et à la jouissance du présent. Tout en Europe est lié à la Méditerranée et tout, autour de nous, un jour, sera en ruine. »
Philippe Rochot
Bibliothèque François Mitterrand. Paris 13ème. Jusqu’au 16 décembre 2020.

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