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“La passion des chrétiens du Liban”: le second souffle du livre de Dominique Baudis&#823

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 9 juin 2019
  • 6 min de lecture

Un ouvrage publié pour la première fois en 1979 sur le destin d’une communauté d’Orient peut-il rester une référence aujourd’hui ? La réponse est oui quand on lit ou qu’on relit le livre que nous a laissé Dominique Baudis « La Passion des chrétiens du Liban » dans une édition revisitée. Le destin a voulu que ce témoignage qui touche les périodes des années 1860 jusqu’à la naissance du Liban indépendant, ait été revu par Antoine Sfeir, confrère et ami de l’auteur, chrétien d’Orient dans l’âme, décédé récemment, qui traduit mieux que quiconque les aspirations de cette communauté et la réalité de cet Orient compliqué : « Les occidentaux cherchent à imposer l’idée de nation, selon les schémas hérités de la Révolution française, dit-il dans une préface consistante, alors que ce concept est étranger aux mentalités de la région où l’on ne connait que des communautés imbriquées les unes dans les autres et dont l’identité peut être religieuse, ethnique ou culturelle. »


Village chrétien de Maaloula (Syrie) . Photo Ph. Rochot.

Dominique Baudis s’est toujours passionné pour les minorités du Proche-Orient et en particulier les chrétiens, tout en gardant un profond respect pour les communautés musulmanes. Il prenait plaisir à raconter que les prêtres maronites pouvaient se marier et trouvait ce choix judicieux car il permettait d’écarter l’hypocrisie qui caractérise la vie des religieux dans d’autres églises chrétiennes. Dominique Baudis était présent à Beyrouth lors du déclenchement de la guerre dite civile du Liban, le 13 avril 1975. Il se donna à fond dans la couverture de ce conflit et observa avec passion l’attitude et le sort des chrétiens. La tentation était sans doute forte d’expliquer et de raconter les attaques et les massacres du moment, ce qu’il fit pour la chaine française Tf1 : bataille des grands hôtels entre phalangistes chrétiens et milices musulmanes soutenues par les Palestiniens, guerre des enclaves, massacres de la Quarantaine et représailles contre le village chrétien de Damour etc…


Liban: massacre des chrétiens de Damour, en représaille aux massacres dits de la Quarantaine, quartier tenu par les Palestiniens et leurs alliés. Février 1976.

Mais le journaliste qu’il était a su aller plus loin avec ce livre, afin de rechercher dans l’histoire de la région, les origines du conflit entre les communautés du Liban et de Syrie. Baudis nous ramène au printemps 1860 à l’époque de l’Empire ottoman où les chrétiens du Liban affrontent les attaques et les massacres des musulmans sous le regard bienveillant de l’occupant turc. Dans cette page d’histoire se trouvent les fondements de l’équation libanaise. Il explique ainsi le pourquoi des massacres. « Le caractère frondeur des maronites indisposait l’Empire ottoman. A Istanbul on ne serait sans doute pas fâché de voir les musulmans se défouler sur eux. En outre les Turcs y voyaient un bon exutoire. En attisant les haines confessionnelles au Liban, on détournait le sentiment national libanais et arabe qui commençait à se manifester dans cette région. » Dans son récit, on sent qu’il a parcouru les lieux des massacres pour mieux s’imprégner de l’atmosphère qui pèse sur les vallées et les flancs de montagne où les chrétiens se sont réfugiés. Ainsi décrit-il Hasbaya sur les pentes du mont Hermon : « Cette vallée étroite et profonde où le soleil ne pénètre guère qu’au milieu du jour, cet obscur entonnoir naturel semblait prédestiné à la tragédie qui venait de se dérouler. A peine arrivé, on cherche avec anxiété la route qui permettra de sortir de cette gorge dont on se sent prisonnier. »


Combattants chrétiens dans la région du Metn: Mont Liban 1976. Ph Rochot.

L’auteur décrit les scènes de violence et de massacre comme si lui-même en avait été le témoin. Il bénéficie pour cela des écrits de l’époque : récits de voyageurs, articles de journaux, correspondances du consul de France à Beyrouth, le comte Bentivoglio mais surtout rapports de l’informateur du consulat, un certain T.O dont on ne connaitra que les initiales (T.O comme témoin oculaire) mais qui observe et raconte les massacres qui se déroulent sous ses yeux, comme celui de Hashaya : « Ismaël Atrach, l’un des chefs du Hauran demanda au commandant de la garnison turque de lui livrer les chrétiens réfugiés dans les casernes. Le commandant turc les lui abandonna sans résistance, sans même brûler une amorce. Il ouvrit les portes de la caserne, les druzes s’y précipitèrent et massacrèrent tous les chrétiens mâles qui s’y trouvaient. »


Village chrétien de Deir el Kamar. 1975. Ph. Rochot.

Baudis décrit de même le massacre de Deir el Kamar qui allait faire plus de 2000 morts le 1er juillet 1860 lorsque les druzes entrèrent en force dans ce village du mont Liban. « Des massacreurs se portèrent au sérail où se trouvaient 500 jeunes gens, l’élite, la fleur de la population : les officiers turcs leur en ouvrirent les portes et bientôt ces malheureux ne formèrent plus qu’un monceau de cadavres… Les officiers indiquaient aux druzes les endroits où les chrétiens étaient cachés. » On comprend dans ces conditions que l’informateur du consul, le fameux T.O, marqué par les horreurs des massacres ne voulut plus retourner dans ces villages martyrs : « Il ne voulait pas aller à Deir el Kamar pour y retrouver les mêmes façades calcinées, la même odeur de mort. Il ne voulait plus entendre les rires fous des rescapés et les plaisanteries goguenardes des Turcs. » L’auteur n’oublie pas de saluer le rôle de l’émir Abd el-Kader en faveur de la protection des chrétiens de Damas, alors qu’il venait d’être bouté hors d’Algérie par les Français et qu’il aurait pu laisser massacrer cette communauté si proche de la France. « Plus de vingt mille chrétiens furent arrachés au fer des assassins et transportés, au fur et à mesure, du palais de l’émir à la forteresse plus spacieuse et plus capable de renfermer la foule des malheureux. »


Beyrouth: attentat place des canons au début de la guerre civile. 1975. Ph. Rochot.

Massacres de 1860 et cheminement vers l’indépendance composent les deux volets du livre. Durant la guerre de 14-18, Djamel Pacha a envahi le Mont-Liban, repère des chrétiens. L’encerclement, les privations, la famine, vont durer 4 ans. Quand l’Empire turc est défait en 1918 et que les Français débarquent, ils sont considérés comme des libérateurs. Ce sentiment va perdurer. Au début du conflit de 1975, qui allait durer 14 ans, les chrétiens du Liban resteront persuadés que la France allait voler à leur secours, oubliant que les circonstances historiques avaient changé et que leur pays était indépendant. L’indépendance du Liban s’est arrachée en 1943, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale sur une terre qui sera restée l’enjeu des puissances étrangères : « les Libanais dit Dominique Baudis étaient partagés entre désir d’indépendance et crainte d’être aussitôt avalés par la Syrie avec un roi Faysal, installé à Damas par les Anglais qui voulaient utiliser les musulmans pour lutter contre la France. » Cette « Passion des chrétiens du Liban » qui connait donc un second souffle avec cette nouvelle édition permet de constater que malgré les troubles anciens et actuels, le Liban est resté une terre qui accueille la diversité et un système qui a résisté aux différents chocs de l’histoire. Le pacte de 1943 est toujours d’actualité même si les chrétiens ont perdu de l’influence face à la montée de l’islam chiite et la naissance du Hezbollah, véritable état dans l’état.


La première édition du livre de Dominique Baudis.

Le Liban a payé très cher pour cette guerre de 14 ans qui dura de 1975 à 1989 et se termina avec les accords de Taef. Il aurait pu basculer de nouveau à la faveur du récent conflit syrien et les chrétiens en payer le prix. Pareilles craintes étaient justifiées mais cela ne s’est pas produit. C’est en Syrie que des prêtres et des religieuses ont été enlevés et certains sans doute assassinés par Daech, comme le père Paolo d’All Oglio. Quand on regarde la carte des crimes commis contre les chrétiens dans le monde, les voyants rouges s’allument sur des pays comme le Nigéria (3700 morts en 2018), l’Egypte, l’Irak, le Sri-Lanka, le Pakistan, le Soudan etc… Le Liban ne figure même pas sur la liste de l’ONG « Aide à l’Eglise en détresse ». Il eût été passionnant de lire l’analyse qu’aurait pu faire aujourd’hui Dominique Baudis, décédé en 2014, sur les chrétiens du Liban face au conflit du voisin syrien.

Philippe Rochot

La Passion des chrétiens du Liban de Dominique Baudis. orientseditions. Préface d’Antoine Sfeir. Nouvelle édition: 12,90 €


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