Les films de Raymond Depardon, c’est aussi le son de Claudine Nougaret. Expo BNF : Philippe Rochot
- Philippe Rochot
- 14 janv. 2020
- 4 min de lecture
Un bon documentaire, c’est bien sûr une bonne image mais c’est aussi un bon son. Le son va mettre en valeur la portée du témoignage, l’ambiance, l’atmosphère, la force du commentaire. Or il est souvent oublié, négligé. On le voit dans les reportages diffusés à la télévision où les interviews sont souvent faites avec le micro d’ambiance et sans preneur de son pour des raisons d’économie. L’expo de Claudine Nougaret « Dégager l’écoute » nous fait mesurer la dimension de ce domaine, essentiel à la qualité d’un documentaire. Claudine Nougaret est à la fois l’épouse et l’ingénieur du son de Depardon. Elle fut l’une des premières femmes à pratiquer cette discipline dans le cinéma français. C’est là qu’ils se sont connus. Tous deux représentent ainsi « la parfaite union du son et de l’image, tout un symbole entre nous » comme elle aime le dire.

Le spectateur superficiel a souvent l’impression que Depardon tourne seul ses documentaires. C’est une erreur. Il n’en a réalisé que trois en solitaire, dont « Reporters » où il suit les photographes de l’agence Gamma. Derrière ses autres films, il y a Claudine Nougaret à la prise de son. Pendant 26 ans Depardon n’a signé qu’avec son nom mais nous dit son épouse : « J’étais d’accord. Le spectateur devait croire qu’il était seul, un cow-boy nomade, solitaire et célibataire. Pourtant j’étais bien là dans le vent du désert » Depardon s’était rangé à l’idée d’employer un ingénieur du son après avoir constaté que sa position à la caméra était différente de sa position à la prise de son. En clair, il aime filmer au 50mm, ce qui le contraint à respecter une certaine distance avec son sujet, alors que pour le son il doit se rapprocher de la personne interviewée. La présence de Claudine Nougaret à ses côtés a mis fin à cette contradiction.
Dans les témoignages des films de Depardon, les paroles sont peut-être plus importantes que l’image. On y entend des prévenus, des malades mentaux, des paysans, des personnes peu familiarisées avec une expression claire et limpide. Il ne faut donc rien perdre de ce qu’elles disent. Or souvent elles parlent bas, notamment devant un tribunal comme on peut le voir dans le film « Délits flagrants ». Claudine Nougaret a trouvé la solution : « Devant un procureur un prévenu baisse la tête et murmure ses réponses… Je rattrapais sa présence au son par un micro fixe caché au milieu des dossiers sur la table. »

Le traditionnel Nagra et la perfection du son.
Il a fallu huit ans au couple Depardon pour obtenir l’autorisation de tournage au Palais de Justice de Paris. Pour ce film ils ont même décidé de jouer le son plus que l’image. Pas de plans extérieurs, pas de gendarmes en faction devant la grille d’entrée, pas de vue des couloirs interminables. Tout est dans les sons et Claudine Nougaret s’en explique : « le Palais de Justice on ne le voit pas…J’ai décidé de le faire exister au son. On entendait en fond sonore les appels du chef de la brigade de l’escorte des gendarmes mobiles, les bruits des menottes, les portes qui grincent, les bruits de talons qui claquent et le crissement des chaises des avocats sur le carrelage. » Lors du tournage du film « 10ème chambre, instants d’audience » Depardon a disposé trois caméras de 16mm mais pour le son il est interdit d’utiliser une perche car cela risque de perturber l’audience. Claudine Nougaret tourne alors la difficulté en dispersant quatorze micros dans la salle, reliés à un Nagra numérique. Le numérique, bien sûr ! Il permet aujourd’hui d’enregistrer en continu pendant plusieurs heures alors qu’au début, le couple Depardon tournait en film avec un son sur bandes magnétiques. Il fallait tous les quarts d’heure changer les bobines, au risque de perdre des éléments essentiels d’un témoignage. Curieusement pourtant Claudine Nougaret n’hésite pas à supprimer parfois des sons. Elle cite par exemple la série « Profils paysans » où elle a fait enlever le son des cloches, le chant du coq ou les aboiements de chiens, estimant que pareils éléments sonores entretenaient les clichés habituels sur la vie à la campagne.

L’expo de Claudine Nougaret à la BNF nous présente les caméras et magnétos utilisés par le couple, des photos de tournage, leur témoignage, mais elle nous montre aussi une femme dans l’univers ingrat du cinéma. Avant de connaitre Raymond Depardon, elle a vécu la vie des plateaux de tournages.
« Pour les femmes ce n’est pas la place idéale quand il y a une majorité d’hommes. Sur les plateaux il y a 50 personnes qui s’occupent de l’image et seulement deux qui s’occupent du son…. Alors quand on est à la fois femme et qu’on s’occupe du son, on cumule un peu tous les problèmes du cinéma français. »
Mais Claudine Nougaret a une haute opinion de son métier qui lui permettra de dominer ces problèmes. Elle dit par exemple : « Le son s’adresse à tout notre corps. Il nous parle de désirs, il nous parle d’angoisse. » Dans cet univers, elle fait des découvertes comme celle-ci : « Il est plus facile d‘enregistrer les voix en langue anglaise ou espagnole que française, plus facile d’enregistrer des voix d’hommes que des voix de femmes car les micros sont calibrés pour des voix masculines. » Claudine Nougaret aura passé trente-cinq ans à faire de la prise de son, redonnant sans doute ses lettres de noblesse à un domaine parfois négligé dans les tournages de documentaires ou de grands reportages.
Philippe Rochot
L’exposition de la BNF est née suite à la rencontre de Claudine Nougaret avec Gabriel Bergounioux, sociolinguiste, directeur du Laboratoire Ligérien de Linguistique , qui a vu dans la bande son du film Les Habitants (2016) un formidable sujet pour l’étude du français parlé. Raymond Depardon et Claudine Nougaret ont confié à la BNF l’ensemble de leurs archives filmiques et sonores enrichissant ainsi notablement le département Audiovisuel de la Bibliothèque nationale. « Par ce don nous laissons une trace de la façon de parler de 1975 à nos jours » dit Claudine Nougaret.
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