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Les métamorphoses du refuge de l’Aigle… Regard sur le livre de Charlie Buffet et Pascal Tournaire :

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 20 août 2015
  • 3 min de lecture

Refuge de l’Aigle : 1984. © Ph. Rochot.

« S’il te plait, dessine-moi un refuge ! »… Si le petit prince avait demandé à Saint-Exupéry de lui dessiner un abri de haute-montagne, sans doute aurait-il tracé les contours de cette cabane emblématique, voisine de la Meije, accrochée au rocher à près de 3500 mètres d’altitude : le refuge de l’Aigle. Charlie Buffet et Pascal Tournaire lui consacrent un livre à l’occasion de la naissance du nouveau refuge: « L’Aigle : un refuge phare ». Eux le comparent à la cabane de Charlot dans « la ruée vers l’or » qui menace de basculer dans le vide.

Et c’est bien le sentiment qu’on a quand on aborde ce refuge mythique : la fragilité de la construction dominant le glacier qui file 500 mètres plus bas et les haubans qui l’empêchent de basculer dans le vide en cas de tempête. Malgré cela on éprouve quand-même un sentiment de sécurité quand on est à l’abri de ses planches qui vous protègent plus ou moins du froid et de la bise glaciale.

Photo Pascal Tournaire

Le nouveau refuge de l’Aigle : © Pascal Tournaire. Charlie buffet qui fait le parcours de montée avec l’ancienne gardienne Marie Gardent écrit : « Le sentier monte têtu comme un mulet, souvent droit dans la pente. Pas de vallées, pas de plat, pas de distance inutile : une rampe raide tendue vers les crêtes austères, qui s’élève d’un seul jet de l’étage des prés encore cultivés au pays des glaciers.»


Montée à l’Aigle : 1996. © Ph. Rochot. Marie Gardent connait parfaitement le chemin, par beau temps ou par brouillard. Elle est fille du guide Bruno Gardent, adjoint au maire de La Grave, mais surtout la plus jeune des 20 gardiens qui ont tenu le refuge depuis 1971. « Elle avait 20 ans écrit Charlie Buffet quand elle a commencé sa première saison là-haut. Le refuge de l’Aigle semblait l’attendre depuis qu’elle savait marcher. » En deux années passées à l’Aigle, Marie se souvient de ces nuits glacées où l’on ne sort pas de son sac de couchage ou de certains alpinistes effrayés à l’idée de dormir là et préférant redescendre dans la vallée.


Vers le refuge de l’Aigle : un dénivelé de 1800 mètres.  1996. © Ph Rochot. Il faut aimer l’Aigle pour y rester. Il faut aimer l’Aigle pour écrire sur ce refuge accroché à la roche et chargé de l’histoire de la montagne. Le rocher de l’Aigle abrita les premiers bivouacs d’alpinistes dès la fin du 19ème. siècle. La nécessité de bâtir une cabane s’imposa d’elle-même pour gravir la Meije orientale et le Pic central, mais surtout comme aboutissement de la longue traversée des arêtes de la Meije, évitant au grimpeur de descendre 1800 mètres de dénivelé en fin de journée après 12 heures d’escalade, pour regagner la vallée.


Le refuge tenait par des haubans pour résister aux tempêtes. © Ph Rochot.

Le refuge fut achevé en 1910 et les premiers clients arrivèrent en 1911, lors d’une saison exceptionnelle où le soleil brilla durant trois mois. L’Aigle démarra très fort. Charlie Buffet qui nous livre un travail documenté et précis nous fait l’inventaire de la vaisselle et du mobilier qui figure dans les archives du Club Alpin: 1 boite à sel, 12 cuillers à soupe, 1 balayette, un billot, 3 bougeoirs etc…Il donne aussi le tarif des nuitées : 1 franc 50 par personne. Le souvenir de l’Aigle est soigneusement entretenu. Car un refuge où des alpinistes comme Gaston Rebuffat ont posé leurs fesses et accroché bonnets rouge et pulls jacquard aux clous des bas flancs, ça ne s’oublie pas.


Le nouveau refuge de l’Aigle inauguré en août 2014. © Club alpin Toulouse.

Charlie buffet laisse la plume à Pascal Tournaire, auteur des photos du livre, pour le récit de la première hivernale de la directe de la Meije en février 1989. Une grimpe de froid et de souffrance avec le guide Bruno Gardent, le père de Marie et un danseur étoile, Jean Charles Verchère qui n’oubliera pas l’aventure, mais toujours avec en toile de fond le refuge de l’Aigle dont la présence, même lointaine rassure les cordées. Car il y a un « esprit Aigle » précise Charlie Buffet : « l’Aigle est un symbole ; il est l’idée du refuge, il est tous les refuges : ceux qu’on a rêvés et qui ont disparu, ceux qu’on a fréquentés et qu’on ne verra jamais, ceux qu’on aurait aimé sauver et qu’une avalanche a emportés ».


Le territoire de l’Aigle : la Meije. 2013. © Ph Rochot. Dans ces conditions, démonter l’Aigle est vécu comme un sacrilège. Il a fallu 15 ans de pourparlers pour faire accepter la construction du nouveau refuge aux nostalgiques et aux vieux guides. Une association de défense de l’Aigle a même été créée et des recours déposés au tribunal. On a pu voir ainsi des dirigeants du Club Alpin de Briançon comme Jean Berriot se lancer dans une grève de la faim pour empêcher le démontage du vieux refuge. Il faudra un médiateur. Le témoignage de Marie Sangnier gardienne à l’Aigle de 1992 à 1998 sera déterminant dans la solution adoptée: « A l’Aigle a-t-elle dit, on est le maître du monde. On voit tout, on domine tout…. Quand on est assis dans la cuisine, on a l’impression qu’on est dans un avion. Il faut aimer la solitude. L’Aigle, on ne peut pas y aller juste pour garder un refuge. C’est une philosophie de vie. Il faut vraiment le vouloir, l’avoir en soi, comme une partie de soi. »

L’architecte du nouveau refuge , Jacques-Félix Faure, qui s’est battu pour la construction de ce bijou de l’architecture de montagne, a dû réviser complètement son projet. Mais le résultat est là. Il joue classique et conserve la charpente du passé, donnant satisfaction aux nostalgiques de l’ancien refuge qui est donc démonté. Il était temps s’est laissé dire Charlie Buffet. Les planches étaient rongées par l’humidité, pourries : « on enfonçait les doigts dans les poutres »… Le nouveau refuge a d’abord été construit dans la vallée, puis les pièces transportées par hélico et assemblées en haut. Chaque élément ne devait pas peser plus de 650 kg afin de pouvoir prendre la voie des airs. Pascal Tournaire nous présente les photos de chaque étape de la construction dans la dernière partie du livre.

Le nouveau refuge de l’Aigle a été inauguré le 9 août 2014. Il peut accueillir 30 personnes sur 40m2. Louis Gaillot, 27 ans en est le premier gardien… L’architecte Jacques Félix Faure nous offre dans ce livre une conclusion digne de ce « refuge phare ». « Là-haut dit-il, on est un peu comme des Indiens ou des Inuits, en symbiose avec un territoire. C’est notre culture montagnarde et comme les Inuits on ne doit pas la perdre. L’Aigle nous aide à exprimer ça. » Philippe Rochot

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