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Liban: bronzés et tatoués au pays du cèdre. Expo « C’est Beyrouth ». Philippe Rochot.

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 3 avr. 2019
  • 4 min de lecture

Vianney Le Caer: Beyrouth, “Les Bronzeurs”.

Nos yeux captent l’éclat des guerres et ont parfois du mal à regarder ailleurs. Beyrouth est resté dans notre imaginaire une terre de conflits et de trafics, de grandes fortunes et de misère, de ruines et de destructions, de croyance profonde et de fanatisme. A tel point qu’il serait presque indécent de parler d’autre chose.

L’expo « C’est Beyrouth » qui s’est ouverte au Centre des Cultures d’Islam à Paris nous montre pourtant une autre face de la vie libanaise avec ces fans du bronzage ou ces corps tatoués de figures religieuses que l’on découvre en soulevant le T-shirt de quelque croyant chrétien ou musulman. Dans une région où il n’est pas toujours convenable de montrer son corps, l’exception libanaise apparaît pleinement.

Beyrouth: “Les Bronzeurs”. (c) Vianney Le Caer. 

On retiendra bien sûr les photos de Vianney Le Caer intitulées « les Bronzeurs », saisies sur la corniche de Beyrouth-ouest où chaque jour que Dieu fait, une trentaine d’hommes en slip de bain exposent sans complexe leurs corps au soleil du Liban, mettent en valeur une musculature soigneusement travaillée, la tartinant sans retenue de crème solaire pour entretenir un bronzage savamment étudié. L’auteur nous dit que ce sont tous des musulmans et qu’un corps bronzé, dénudé, exposé toute la journée aux rayons de l’astre solaire n’est pas un obstacle au recueillement et à la prière.

Beyrouth: “Les Bronzeurs”: (c) Vianney Le Caer.

Les photos de Hassan Ammar sur les tatouages des militants chiites répondent à la même démarche. Qui peut imaginer que sous la tenue austère et sombre des chiites pratiquants ou les habits sans couleurs de simples croyants se cachent des figures de disciples du Prophète, incrustées dans la peau ?


“C’est Beyrouth”: (c) Hassan Amar.

On voit ainsi apparaître sur la peau des hommes Ali, disciple de Mahomet (chiite veut dire partisan d’Ali) et même l’actuel dirigeant du Hezbollah le parti de Dieu, Hassan Nasrallah. L’identité religieuse est carrément gravée sur le corps, réaffirmée, indélébile alors que les musulmans sunnites eux, excluent pareille représentation humaine. Ces tatouages se retrouvent également chez les chrétiens avec les photos de Patrick Baz qui nous offre cette image choc d’un homme à la croix tatouée sur l’avant-bras, comme une affirmation de sa croyance et de son appartenance à cette communauté : une fierté mais aussi quelque part une provocation.


“C’est Beyrouth”: tatouage chez la communauté chrétienne: (c) Patrick Baz.

Dimitri Beck, membre du comité scientifique de l’exposition écrit : « Il devient évident que le corps est un champ d’expression pour leurs émotions, leurs tensions et leurs passions. Ils le sculptent, le chérissent, le dessinent, le transforment… Leurs corps respirent la sensualité, la sexualité, la piété, l’hostilité et parfois l’animalité et la légèreté. » On peut de même lier cet hymne au corps aux portraits de Ziad Antar qui nous montre cette police libanaise en moto pour qui la première arme de dissuasion est d’abord l’allure et la musculature, avant même les armes.


Myriam Boulos et sa série “C’est Dimanche”.

L’exposition « C’est Beyrouth » regroupe seize regards de photographes libanais et étrangers sur la vie dans la capitale du Liban. On y croise ainsi Myriam Boulos avec sa série « C’est Dimanche » où la jeune photographe suit les domestiques employées dans les familles libanaises. Leur condition de vie n’est guère meilleure que dans les pays du Golfe qui exploitent à fond cette main d’œuvre bon marché, symbole de l’esclavage moderne. Elles viennent des Philippines, d’Indonésie, d’Afrique et n’ont droit qu’à quelques heures de repos le dimanche. Myriam Boulos s’intéresse précisément à ce temps de repos et de détente et les suit au salon de coiffure, au marché, dans les salles de prière, ou chez l’esthéticienne.


Myriam Boulos et sa série “C’est Dimanche”. Les domestiques asiatiques chez l’esthéticienne.

L’image des réfugiés de la guerre de Syrie était incontournable. Ils seraient un million de réfugiés syriens au Liban, plus nombreux que ne l’ont été les Palestiniens depuis la création de l’état d’Israël. Ils retrouvent une dignité sous l’objectif de la photographe Dalia Khamissy qui se fait porte-parole de leur détresse et de leurs espoirs. Ils sont saisis chez l’habitant et non pas dans les camps car le tour de force des Libanais est sans doute d’être parvenus à accueillir dans des familles ces rescapés qui représentent le tiers de la population.


Les exclus: la communauté LGBT. (c) Mohamed Abdouni.

Les oubliés, les exclus de la vie libanaise apparaissent ici en plein jour comme la communauté LGBT. Mohamad Abdouni s’intéresse à elle depuis quatre ans. Il en sort une série intitulée Doris & Andrea après avoir vécu trois semaines aux côtés d’une mère et de son fils transgenre, au cœur du quartier branché de Mar Mikhael. Il donne ainsi une existence, un nom, une reconnaissance à ces oubliés.

Ces photos nous montrent donc des vies au-delà de la guerre. Mais la guerre n’est jamais bien loin. L’exposition commence d’ailleurs par un déroulé en vidéo de l’offensive israélienne de 2006 contre le Hezbollah, telle que vécue par un jeune artiste Fouad el Khoury. Pour la nouvelle génération, la guerre du Liban, c’est celle-là, pas la guerre civile de 1975 ou l’opération « Paix en Galilée » qui conduisit l’armée israélienne jusqu’à la banlieue de Beyrouth en 1982 dans une offensive sans précédent contre les camps palestiniens. Les Libanais n’ont pas oublié cette guerre de 2006 que mena Tsahal contre les soldats du « Parti de Dieu » ; Elle fut une victoire pour le « Hezbollah » qui gagna fortement en popularité dans le pays et dans le monde arabe.

 “Iftar”: photo de Nathalie Naccache.

Dans cet Orient compliqué, les photographes sont venus avec des idées simples. Mais il fallait y penser. Natalie Naccache par exemple présente quatre diptyques où l’on découvre la communauté musulmane de Beyrouth fêtant l’Iftar, le repas du soir du Ramadan qui marque la fin du jeûne au coucher du soleil. Dans cette fête quotidienne marquée par l’abondance et la joie se retrouvent toutes les catégories sociales du Liban : bourgeoisie, classes moyennes, commerçants, réfugiés syriens et même scouts libanais en tenue : un modèle du vivre ensemble. Et c’est bien cette vie commune partagée qui fait l’intérêt de cette exposition qu’il aurait sans doute fallu appeler : « C’est aussi ça Beyrouth ».

Philippe Rochot

Exposition jusqu’au 28 juillet.

Institut des Cultures d’Islam : 19 rue Léon ; suite au 56 rue Stephenson Paris 75018.

Image de “Une”: Vianney le Caer, “Les Bronzeurs”.

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