Maitres de la photo japonaise et Samouraï noir à la Maison Européenne de la Photo. Ph Rochot.
- Philippe Rochot
- 14 déc. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 mai 2021
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La photographie japonaise a souvent de quoi dérouter. Alors qu’au début du siècle dernier elle n’était faite que d’albums souvenirs avec geishas et cerisiers en fleurs, elle a fait un bond en avant au sortir de la deuxième guerre mondiale : techniquement d’abord avec l’essor des marques les plus prestigieuses, Asahi, Nikon, Canon, mais aussi artistiquement avec une recherche toujours poussée de l’interprétation des scènes de vie et de la réalité du monde.
La photographie japonaise est aujourd’hui appréciée en France et reste assez présente dans les galeries d’art. Voilà dix ans déjà que les deux grands maîtres Shomei Tomatsu et Daido Moriyama, avaient lancé le projet d’exposer ensemble à Paris. La mort de Tomatsu en 2012 a retardé la réalisation de ce vieux rêve mais son épouse a repris le flambeau. Et le résultat est là sur deux étages de la Maison Européenne de la Photo, avec plus de 400 clichés.

Tokyo 1961: Shomei Tomatsu.
Shōmei Tōmatsu affichait 50 ans d’images au compteur quand il est décédé. Au début de sa carrière dans les années 60, il faisait partie d’un collectif de photographes qui lança le mouvement « École de l’image ». Il a osé dépoussiérer le style en vigueur à l’époque, créer une nouvelle approche, rompre avec la tradition. Il a su casser les cadrages, les équilibres, sortir des sujets traditionnels ou les aborder avec un regard neuf.
Tomatsu s’est penché sur le thème des catastrophes nucléaires : la bombe d’Hiroshima bien sûr. Il la représente par l’image solarisée d’une bouteille fondue, abandonnée sur les ruines d’une ville figée par les effets de la déflagration. Il traduit aussi la catastrophe par la photo d’un visage de femme irradié, sillonné de cicatrices, défiguré.

Hair line 1969 La ligne Yamanote est une ligne ferroviaire de la compagnie JR East au Japon. C’est l’une des lignes les plus chargées de Tokyo: (c) Shomei Tomatsu.
Shomei Tomatsu est obsédé par les conséquences du nucléaire. Il a connu Hiroshima et Nagasaki, mais aussi Fukushima, cette autre menace, invisible celle-là, qui a frappé le Japon après le tsunami ravageur de mars 2011.
A’ l’époque il avait confié au Figaro : « On ne peut pas traduire pareil drame en mots. La force de la nature, incroyable, rappelle à l’homme le grand dommage qu’il a exercé sur elle. A Hiroshima et Nagasaki, c’était une bombe… Cette fois-ci, la radioactivité s’échappe de façon invisible, menaçant d’irradier les gens d’une autre manière, moins spectaculaire, plus lente. »
Le thème de l’exposition Moriyama-Tomatsu est simple. Intitulée « Tokyo », elle laisse le champ libre aux deux artistes sur la vision d’une cité qui les passionne et les envoûte.

Tokyo: 1977. Série quais. (c) Daido Moriyama.
Daido Moriyama a une approche différente de celle de son compagnon. Il aime se transformer en chasseur d’images ou plutôt en chien errant comme il le dit lui-même. Il est passionné par le noir et blanc, les contrastes, les noirs profonds, les lumières de la ville, les panneaux publicitaires qui viennent troubler la perspective des rues. Ses angles de prise de vue sont originaux. Il se plait à jouer avec les inscriptions de la ville, les reflets des fenêtres ou les publicités. Mais il aime surtout les gens.
Une de ses photographies les plus connues est celle d’un mendiant aveugle dans métro de Tokyo. Au moment du déclic, l’homme jette un regard au photographe… C’était un vrai mendiant, mais un faux aveugle.

Tokyo: quartier de Shibuya: 1990. (c) Daido Moriyama.
A cette vaste fresque de la photo japonaise, la Maison Européenne ajoute un autre projet : celui du chorégraphe Smaïl Kanouté qui présente une création intitulée « Yasuke Kurosan, samouraï noir au Japon ». L’histoire a quelque chose de fascinant.
Nobunaga est un africain du Mozambique, enlevé au 16ème siècle par des trafiquants d’esclaves. Il est ensuite vendu à des négriers portugais qui le conduisent à Goa où il entre au service d’un jésuite italien. Le religieux l’emmène avec lui au Japon et le remet à un seigneur de guerre, fasciné par cet athlète intelligent et dévoué.

Yasuke Kurosa: ancien esclave, noir mais samouraï… (Archives DR + Japanization.org)
Cet ancien esclave mesure 1m 90 alors que la taille moyenne des Japonais de l’époque ne dépasse pas 1m 60. Le seigneur l’engage ainsi dans sa garde rapprochée et le fait Samouraï. Il a environ 25 ans et devient ainsi le premier étranger et de plus noir, à accéder à ce rang prestigieux. Mais il sera trahi un an plus tard et remis à son premier maître italien. Son aventure au Japon aura été brève mais cet africain devenu Samouraï est resté dans les mémoires et l’histoire du pays.

Dans sa vidéo présentée à l’exposition, le chorégraphe Smaïl Kanouté traduit à l’image la métamorphose du corps courbé de cet esclave qui se transforme en un corps fier et droit, celui du samouraï qui retrouve une dignité. Les spécialistes y voient la rencontre entre la danse africaine et le Bushido, le code d’honneur des samouraïs.
Quand on sait la méfiance de la société japonaise pour tout ce qui est étranger à sa culture et ses codes, l’effort de l’artiste Smaïl Kanouté mérite d’être salué. Sa vidéo traite à la fois de l’impact du colonialisme et des rites ancestraux tels que pratiqués au Japon : un mélange troublant.
Philippe Rochot

La MEP annonce l’expo mais restera fermée jusqu’au début janvier... (c) Ph Rochot
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