Mathias Depardon : pour l’exemple. Ph Rochot.
- Philippe Rochot
- 5 juin 2017
- 3 min de lecture
Parcourir le sud-est de la Turquie quand on est journaliste, c’est se savoir filé, traqué, observé. Sur cette terre peuplée de Kurdes, où l’état d’urgence est en vigueur depuis plusieurs décennies, la présence du reporter n’échappe pas à la vigilance de la police et de l’armée turque. Mathias Depardon le savait. Il réalisait un reportage photo sur la région Tigre-Euphrate : un projet qui lui tenait à cœur, destiné au National Geographic. Il n’était pas clandestin, il ne se cachait pas, il jouait franc jeu. Il a pourtant été arrêté: pour l’exemple. La raison, recueillie par RSF : avoir fait des photos de militantes du PKK. La police a trouvé ces images sur le disque dur de son ordinateur, ce qui lui vaut d’emblée l’accusation de « propagande terroriste. » Les autorités lui reprochent également d’avoir travaillé sans la carte de presse délivrée par la « Direction de l’Information. » Le cabinet du premier ministre l’avait pourtant rassuré en lui disant que son dossier était « en voie de régularisation », qu’il pouvait partir sans crainte. Ce qui aurait pu demeurer un malentendu ou une bavure administrative s’est transformé en accusation. Depardon est en prison ou plutôt dans un « centre de rétention pour migrants clandestins » à Gaziantep: pour l’exemple.

Son arrestation ressemble fort à une offensive contre les correspondants étrangers. Mathias Depardon travaille depuis cinq ans dans un pays où le régime vient de placer sous les verrous près de 200 journalistes à la suite d’une tentative manquée de coup d’Etat. Alors pourquoi pas un journaliste français ? Pour l’exemple encore une fois ! La diplomatie peut-elle le sortir de là ? La France et l’Europe tiennent la Turquie à distance en refusant d’ouvrir les portes du vieux continent à un Etat qui veut rétablir la peine de mort, ne reconnaît pas le génocide arménien, occupe le nord de l’île de Chypre et vient de donner un sérieux coup de canif aux libertés fondamentales. La Turquie n’aime pas que l’Europe lui donne des leçons de démocratie. Elle se referme sur elle-même, renforce la censure, ordonne la fermeture de journaux et retient le reporter français qui veut faire son métier. Pour l’exemple naturellement.

Paris Mairie 4ème: banderole pour la libration de Mathias Depardon. (PR) Si ça n’est pas une prise d’otage ça lui ressemble fortement. Depardon aurait dû être libéré dans la foulée de la rencontre Macron-Erdogan du 25 mai dernier en marge du sommet de l’OTAN à Bruxelles et tout le monde avait bon espoir. Ses conditions de détention s’étaient améliorées. Il avait pu voir son avocat, le consul de France et venait d’arrêter sa grève de la faim. Mais sa sortie n’est pas programmée. Le pouvoir turc veut obtenir des concessions en échange et fait pression sur la France à travers ce reporter-photographe qui vient de fêter ses 37 ans : pour l’exemple toujours. C’est donc à nous journalistes de lancer l’alerte, de dénoncer cette détention abusive, inexplicable, injuste, cette manipulation politico-diplomatique qui met en jeu la liberté d’un homme. Les défenseurs traditionnels sont en place : « Reporters Sans Frontières » avec son comité de soutien appuyé par une quinzaine de rédactions, les sociétés de journalistes, les syndicats etc…

Image de la campagne RSF sur les trottoirs parisiens pour la libération des journalistes turcs. 4 juin 2017: Ph Rochot
En soutenant Mathias Depardon, nous soutenons aussi les dizaines de journalistes turcs incarcérés sans jugement. Notre devoir est de plaider sa cause : pour l’exemple bien sûr… Philippe Rochot
La mère de Mathias Depardon avec Christophe Deloire, avant leur départ pour la Turquie. (PR)… (Mathias Depardon a été libéré le 9 juin 2017…)

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