Photo: des festivals quand même: “Images Singulières” à Sète… Ph. Rochot.
- Philippe Rochot
- 3 avr. 2021
- 4 min de lecture
En Une: photo de Ioana Cirlig de la série Post industrial stories.
Les mesures anti-covid laissent planer une lourde incertitude sur la tenue des festivals photo du printemps, en plein air ou pas. Certains ont jeté l’éponge, d’autres maintiennent leurs programmations avec des plans B ou C mais aussi avec la ferme volonté de continuer d’exister. C’est le cas du festival Images Singulières consacré à la photographie documentaire, qui fait honneur à la ville de Sète depuis 2008. Festival modeste dans son déploiement mais audacieux dans ses projets et dans ses choix avec pour thème cette année : Rendre habitables les ruines d’un monde. Tout un programme.

Dans la sélection, je retiens le travail original du photographe Igor Tereshkov intitulé Oil and Moss. Traiter le problème du réchauffement climatique à travers l’exploitation des énergies fossiles dans le nord de la Russie, montrer ses conséquences sur la nature, la vie des habitants et sur les élevages n’a sans doute rien d’original mais là où l’auteur nous surprend c’est dans sa façon de traiter l’image. Il mélange du pétrole à ses bains de développement des films argentiques, afin de nous montrer à quel point cet or noir pollue et englue toute vie humaine ou animale. Le liquide noirâtre qui détruit en partie la gélatine du film, provoque des trous et des rayures sur la pellicule, rappelant ainsi les dégâts sur l’environnement. Cela donne des images noircies, salies, souillées, mais c’est l’effet recherché par Igor Tereshkov, primé plusieurs fois pour sa démarche photographique dans les concours internationaux.

J’aime aussi cette atmosphère des pays d’Europe centrale que nous fait respirer la photographe Ute Mahler avec ce reportage dans un pays qui n’existe plus : la RDA, République Démocratique Allemande, rayée de la carte en 1989 après la chute du mur de Berlin et réintégrée à l’Allemagne. L’auteure fait partie des nostalgiques de ce pays où il fallait affronter les rigueurs du régime mais où existait aussi une certaine solidarité entre les gens. Sa série Zusammennleben , vivre ensemble, donne ainsi le ton et nous raconte la vie dans l’ancienne RDA, sans complaisance mais avec une certaine douceur. « Je voulais voir dit-elle ce qui se cachait derrière la façade officielle optimiste. Je cherchais le vrai dans la sphère intime des gens. (…) Je les rencontrais chez eux, dans la rue, dans des fêtes et dans le quotidien qu’ils vivaient dans ce pays qui s’appelait RDA. (…) C’était un travail libre, tout à fait personnel. Sans commande. Sans mise en scène. » Elément révélateur, Ute Mahler a cessé de faire des photos après la chute de la RDA.

Saisir l’image à sa porte : ce pourrait être la devise de Cecilia Reynoso, photographe née en Argentine d’une famille italo-espagnole. Elle a choisi comme thème la famille, en particulier celle de son compagnon, famille représentative de la vie en Amérique latine, famille comme pilier de la société où aucune fête ne peut se concevoir sans un repas familial. « Je me suis surtout efforcée de représenter la beauté de la jeunesse et la dignité de l’âge au sein des membres de la famille, un peu comme le cycle d’une fleur, dit-elle pour expliquer son œuvre. Elle aime comparer cette ambiance familiale à celle que l’on trouve dans les films de Visconti comme Rocco et ses frères.

La drogue ! On l’imagine dans les banlieues des cités américaines, d’Europe et du Brésil ou dans les filières de Colombie. On l’imagine moins dans les territoires palestiniens ou en Israël. Et pourtant la consommation de stupéfiants n’a cessé d’augmenter des deux côtés du mur de séparation. C’est l’image que nous livre Romain Laurendeau avec son expo « Mister Nice Guy », nom de la dernière substance à la mode : un cannabis de synthèse dix fois plus puissant que la marijuana et donc plus dangereux. Il s’agit d’une herbe sur laquelle on a projeté des produits toxiques, genre pesticides. L’effet est radical mais ce « Nice Guy » entraîne une dépendance et surtout des maladies du foie ou des reins. Pareille drogue était légale en Israël jusqu’en 2013 et servait aux soldats de Tsahal pour oublier leurs missions sensibles. Elle fut introduite dans les territoires palestiniens de Cisjordanie où les laboratoires de production se sont multipliés.
La démarche de l’auteur, Romain Laurendeau, est originale. Elle s’explique aussi par la maladie de la cornée qui a failli lui faire perdre la vue et l’a laissé dans l’incertitude durant plusieurs années. Il a vécu sa guérison comme une renaissance et décidé de consacrer son travail photographique à la condition humaine.

Rendre habitables les ruines d’un monde : avec sa série Bastard Countryside, Robin Friend explore les paysages britanniques et nous montre comment notre mode de vie moderne détruit la planète. Il dénonce le combat de l’homme contre la nature. On dit de Robin Fried qu’il aborde ses sujets « avec l’esprit d’un explorateur, l’inquiétude d’un activiste et la sensibilité d’un artiste. »

De son côté, Ioana Cirlig nous brosse le tableau de la Roumanie post-industrielle. Dans ces régions minières il y avait du travail pour tout le monde du temps du communisme dit-elle. Puis les gens ont migré vers les villes et ces zones ont été laissées à la dérive avec l’économie de marché.

L’invité d’honneur du festival Images Singulières est cette année le photographe suisse Hugues de Wurstemberger qui a reçu carte blanche pour réaliser un travail sur le bassin de Thau et ses habitants. Sa démarche consiste à rencontrer tous les acteurs des lieux et toutes les personnes qui en vivent : pêcheurs, viticulteurs etc. Il s’était fait connaitre dans sa jeunesse par sa série sur la Garde suisse pontificale qui assure la sécurité du Vatican et qui fit scandale. Pour réaliser son reportage il avait carrément intégré la garde du pape, la pénétrant d’un peu trop près aux yeux des autorités pontificales.
Depuis, Hugues de Wurstemberger se penche sur le sort des populations oubliées, frappées par la perte de leurs territoires ou carrément menacées de disparition.
Pour ce festival 2021, une fresque murale imposante saluera les trente années du collectif Tendance Floue, des projections sont prévues au théâtre Molière, des signatures, une brocante photo etc. Qu’en restera-t-il à l’arrivée avec les mesures de restriction sanitaire ?
Les organisateurs comptent bien sur quelques rescapés pour entretenir la réputation du festival.
Philippe Rochot
Le festival qui était prévu du 13 au 30 mai 2021 est reporté à juillet et s’étalera en réalité sous forme d’une série d’expositions jusqu’à 2022.
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