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Portraits d’une vie ou « Le monde de Steve McCurry » : musée Maillol, Paris. Ph Rochot

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 17 déc. 2021
  • 5 min de lecture

La tentation est forte de résumer l’œuvre de Steve McCurry au portrait de la jeune Afghane aux yeux verts, retrouvée 17 ans après, usée par les épreuves de la vie. L’exposition consacrée à l’œuvre du photographe américain au musée Maillol tombe un peu dans ce piège en plaçant en tête d’affiche cette éternelle Afghane aux yeux d’émeraude. Mais l’œuvre de Steve McCurry va bien au-delà quand on découvre ces dizaines de portraits fascinants, attachants, aux multiples couleurs, mis en pleine lumière dans les salles obscures de ce musée parisien.


Mosquée de Mazar e Charif. Photo Steve McCurry.


L’homme se défend d’être un reporter de guerre ; il se veut photographe humaniste. C’est pourtant les guerres qu’il a souvent choisies comme théâtre de ses images, en insistant sur l’aspect profondément humain des situations.

L’exposition commence par ses photos d’Afghanistan de l’année 1979. McCurry sentait-il souffler le vent de l’histoire ? Il rencontre des combattants afghans au Pakistan qui se plaignent que le monde ne parle pas de leur cause. Alors il les suit, sur les chemins du maquis, dans les montagnes, les villages, les cols enneigés et les vallées.



Afghanistan: Moudjhadins en embuscade dans la procince du Nouristan. (c) Steve McCurry.


Il nous fait découvrir avant l’heure ces hommes qui vont symboliser la résistance afghane : les moudjahidines. Il photographiera plus tard un jeune combattant portant pakol (le béret afghan) et barbichette et qui deviendra le « commandant Massoud », héros légendaire de la guerre contre les Soviétiques. Car quelques mois après ce premier reportage, en décembre 1979, l’Armée rouge envahit l’Afghanistan avec près de 100 000 hommes. Elle y restera huit ans. McCurry s’attache définitivement à ce pays de douleurs et de beauté.



Myanmar: lac Inlé. (c) Steve McCurry.


L’histoire d’une photographie est sans doute aussi passionnante que la scène représentée à l’image. Les photos de Steve McCurry exposées au musée Maillol ne comportent pourtant aucune légende à part la date et le lieu. Le photographe veut d’abord laisser s’installer la part de rêve chez le visiteur, avant de raconter.

Pour connaître la petite histoire de la prise de vue, il faut donc s’armer de l’audioguide qui nous livre les secrets de l’image avec la voix de son auteur.

Les circonstances dans lesquelles ce reporter américain saisit les images sont souvent surprenantes. « J’adore prendre des photos dans la rue, j’adore me promener dans une ville et saisir ce que capture mon regard. Le pouvoir d’observation est central dans la photographie. »


Il faut entendre Steve McCurry raconter comment il a saisi l’une de ses images préférées : celle de ces femmes indiennes regroupées autour d’un arbre et se protégeant d’un vent de poussière.



« Je roulais sur la route, un matin, au Rajasthan, lorsque soudain, de la poussière s’est levée d’on ne sait où. C’était juste avant que ne s’abatte une pluie de mousson. Quand il fait chaud et poussiéreux, ces tempêtes peuvent surgir à tout moment. Alors qu’elle enveloppait mon taxi, mon premier réflexe a été de fermer la fenêtre et de rester à l’intérieur. Puis je me suis dit : attends : l’idée de ce voyage, c’est précisément de photographier des instants comme ceux-ci. Alors j’ai sauté hors du taxi, j’ai aperçu les femmes sur le bas-côté de la route et j’ai couru pour les photographier. »


McCurry nous livre également des témoignages sur la femme afghane quand il parcourt les marchés de Kaboul par exemple et rencontre ces mystérieuses créatures en burka, en train d’acheter des chaussures.



Afghanistan: femmes au marché de Kaboul. (c) Steve McCurry.


« En Afghanistan, photographier des femmes est un peu hasardeux, même si elles portent la burqa, car c’est interdit. Je trouvais ce contraste si étonnant que j’ai quand même voulu prendre le risque. C’est tabou de prendre les femmes en photo, sauf s’il s’agit de votre épouse, de votre sœur ou d’un autre membre de votre famille. J’adore prendre des photos dans la rue, j’adore me promener dans une ville et saisir ce que capture mon regard. »

Sur fond de guerre du Koweit en 1991, Steve McCurry nous laisse cette image d’un enfer sur terre avec quelques-uns des 600 puits de pétrole incendiés par les armées de Saddam Hussein.

Le 11 septembre 2001 à New York, il était là, à peine rentré d’un séjour en Chine, cloué au lit par le décalage horaire jusqu’à ce que le premier avion percute les tours jumelles et qu’il descende dans la rue pour gagner ce site qui sera plus tard baptisé « Ground Zero ».

L’Inde se taille une part de choix dans le monde de Steve McCurry. Il en aime les couleurs, les rues, les odeurs, les monuments, les gens, mais surtout les chemins de fer. Il raconte le temps passé pour obtenir cette image de la locomotive à vapeur avec en arrière-plan le Taj Mahal. La vie, il la sent dans les gares du pays : « En essayant de raconter l'histoire de l'Inde en images, j'ai passé du temps dans ses gares, à regarder le tourbillon de la vie à chaque fois qu'un train arrive. »

L’Inde est une mine d’or pour un photographe, surtout quand il aime les portraits. Ceux que nous laisse McCurry sont d’une grande valeur photographique : richesse des couleurs, lumière équilibrée, composition harmonieuse, visages marqués mais expression sobre, ni misérable, ni indécente, ni vulgaire. Ses portraits montrent l’attachement qu’il peut porter à ces populations rencontrées.





"Mariée à 13 ans, elle est devenue une maman de six enfants. Aucun n’a les mêmes yeux qu’elle. Elle est analphabète. Son mari, un boulanger, et sa fille aînée sont morts, à cause de l’hépatite C. Son visage est dissimulé sous une burqa violette. C’est ainsi qu’elle sera de nouveau photographiée, avec la Une du National Geographic "


Belle occasion alors de parler de Sharbat Goula, la jeune fille aux yeux émeraude, dont le visage est apparu dans tous les grands magasines de la planète, à commencer par le National Geographic et que les équipes du journal finissent par retrouver 17 ans après. L’épreuve de la vie, la misère, six enfants, ont quelque peu brisé ce corps de jeune femme, voilé le regard, fait pâlir le visage, atténué la couleur des yeux. Sharbat Goula vivait avec les réfugiés du Pakistan quand McCurry l’a rencontrée. Puis elle a regagné l’Afghanistan avant d’être exfiltrée à l’été 2021, lors de la prise du pouvoir par les Talibans, pour se retrouver finalement en Italie.


Steve McCurry affirme qu’elle n’a jamais voulu accepter l’argent qu’il a proposé, sauf une fois pour acheter une machine à coudre destinée à sa fille. En revanche, elle a orienté les donations générées par sa photo, vers l’éducation des Afghanes. Cette femme symbolise aujourd’hui les douleurs et les souffrances de l’Afghanistan, mais aussi ses espoirs.


Philippe Rochot



 
 
 

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