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Regards sur le Pékin de la Révolution culturelle : Solange Brand, ses photos et ses petites histoire

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 24 janv. 2019
  • 3 min de lecture

Que savait-on de la Révolution culturelle chinoise à la fin des années soixante ? Pas grand-chose en vérité… En mai 68 on en parlait dans les amphis de la Sorbonne, idéalisant sans complexe ce qui fut l’une des plus grandes tragédies de l’histoire de la Chine contemporaine : humiliations, autocritiques imposées, exécutions d’intellectuels, de lettrés, enfants dénonçant leurs parents, étudiants traduisant leurs professeurs en justice…


Pékin fête nationale du 1er octobre 1966. (c) Solange Brand.

Solange Brand a eu la “chance” de se trouver à Pékin dès 1965, au début de cette révolution et de voir naître le mouvement. Les images qu’elle expose à la librairie La Nouvelle Chambre Claire ou dans son ouvrage de photos « Pékin 1966, petites histoires de la Révolution culturelle » ne prétendent pas être un reportage sur cette Chine en folie mais le regard simple d’un témoin, celui d’une jeune femme de vingt ans, envoyée en 1965 comme secrétaire à l’ambassade de France à Pékin et qui ouvre les yeux sur ce monde.  Pas de procès publics, pas de violence dans ses images, juste des manifestations, des slogans, des drapeaux rouges et des regards. Oui surtout des regards. Que se passe-t-il dans la tête d’un Garde rouge quand il voit l’objectif de l’appareil photo d’une étrangère saisir son image ?


Solange Brand dédicaçant son ouvrage: 22 janvier 2019.

« Les jeunes chinois n’étaient pas hostiles, juste méfiants, intrigués, surpris. Ils n’avaient jamais vu d’étrangère ni d’appareil photo. Ils venaient de la campagne mais j’avais leur âge et ils n’ont jamais eu de gestes agressifs. »

Plus de 50 ans après avoir pris ces images du Pékin de la Révolution culturelle, Solange Brand en parle encore avec passion et émotion. Elle n’avait jamais pratiqué la photo auparavant, mais face à cette révolution qui montait chaque jour en puissance la tentation était forte. Elle a donc acheté un Pentax à Hong-Kong avec de la pellicule Agfa avant de se lancer dans la photo de rue. Son approche des situations est souvent timide, méfiante, le cadrage hésitant mais sa démarche est simple : « Je photographie ce que je vois ».


« Je faisais ces photos pour moi, pas dans l’idée d’être un jour publiée. A l’époque la plupart des pellicules utilisées étaient en noir et blanc pour des raisons de commodité et moi je faisais de la couleur. Un ami chinois qui avait été Garde rouge m’a remercié pour ces images en me disant : « tu me rends ma mémoire en couleur ».


Pékin: manifestation devant l’ambassade de France en 1967. (c) Solange Brand.

Ses négatifs ont heureusement survécu à l’épreuve du temps. Car l’auteure attendra l’an 2000 pour scanner ses images et 2005 pour en sortir ce livre. Mais le résultat est là : un témoignage précieux, direct et sincère sur ces Gardes rouges et ces foules lâchées dans les rues de Pékin qui gagneront même le quartier des ambassades et écriront sur les murs : « mort aux têtes de chien occidentaux ». Le slogan fit dire au général de Gaulle : « on se fait traiter de chiens par des Pékinois »…

Au-delà des persécutions et des lynchages, il y a ce côté bon enfant de la Révolution culturelle, celui de cette jeunesse des campagnes qui découvre la ville et lance des slogans dont elle ne connait parfois ni le sens ni la portée.

Il faut voir les photos mais surtout lire les témoignages, ceux d’anciens Gardes rouges ou de simples citoyens aujourd’hui retraités qui se souviennent et acceptent de raconter. Car un silence de plomb s’est abattu sur cette révolution meurtrière qui fut le résultat de la lutte d’influence entre différentes forces du parti communiste chinois et vit Mao Zedong reprendre la main… « Je suis mal à l’aise à l’idée de montrer que mon pays a fait tout ça disent des témoins… On n’en parle pas en famille… Des gens en bande battaient les habitants au hasard. »

Manifestation à Pékin: 1966. (c) Solange Brand.

Dix ans après sa parution, le livre de Solange Brand « Pékin 1966 : petites histoires de la Révolution culturelle » garde tout son intérêt quand on sait que le nouveau maître de la Chine Xi Jinping veut réhabiliter l’image de Mao. La critique du Grand Timonier est à présent interdite sur les réseaux sociaux ainsi que le moindre récit sur les exactions commises durant la Révolution culturelle. Une nouvelle chappe de plomb s’est abattue sur cet événement majeur de l’histoire de la Chine, tout comme sur le massacre de Tiananmen dont on va marquer le trentième anniversaire. Quand on voit l’empire rouge s’équiper de systèmes de reconnaissance faciale un peu partout, traquer la moindre dérive de ses citoyens, on pense à ce que dit ce couple dans le livre de Solange Brand à propos de cette Révolution culturelle qui dura près de dix ans : « La suspicion est la pire chose que nous ait léguée cette période ».

Philippe Rochot

Le site de l’auteure : http://solange-brand.com/

Expo à « La nouvelle chambre claire : 3 rue d’Arras Paris (5ème)

                      Jusqu’au 16 février 2019.

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