ROBERT CAPA, vu et revu par RSF… Philippe Rochot.
- Philippe Rochot
- 15 déc. 2015
- 3 min de lecture
L’homme a dit-on besoin de héros positifs. Et Robert Capa en est sûrement un. Voilà pourquoi nous sommes sensibles à tout ce qui peut toucher le personnage. Malgré les suspicions qui agitent régulièrement le récit de sa carrière, il reste un grand photographe de guerre : un photographe et non pas un caméraman…
Reporters Sans Frontières qui publie 100 de ses photos « pour la liberté de la presse » le présente pourtant en couverture tenant en main une caméra. En réalité, Capa a peu filmé dans sa vie, en dehors d’une série de séquences qui apparaissent dans un film de Luis Buñuel, produit en 1936 sur la guerre d’Espagne. Il venait alors de rallier les « Brigades internationales » et tournait aux côtés d’un caméraman russe. Aux yeux de l’histoire, l’image de Capa doit donc être associé à un appareil photo et non pas à une caméra. RSF dans cet album, évite d’entretenir la polémique sur les deux sujets qui ont égratigné la légende-Capa : la photo de la « chute » du républicain espagnol et le timing de sa présence sur les plages de Normandie lors du débarquement.

Quand on parle de Robert Capa, on ne peut éviter de montrer cette image du combattant qui s’effondre avec son fusil sur une colline de la région de Cordoue en 1936. RSF ne prend pas de risques et légende ainsi la photo : « Républicain tombant ». Je pensais pourtant que l’homme avait trouvé la mort dans cette fusillade. Les légendes comme celle de « Life » qui date l’événement en 1937, ne prêtent à aucune confusion: « l’appareil Photo de Robert Capa surprend un soldat espagnol à l’instant où il tombe, frappé d’une balle dans la tête ».
La date, l’identité du personnage et la tragédie qu’il vit sont pourtant contestés. Le Musée de New York date la photo du 12 juillet 1937 avec une légende explicite : « spanish soldier, drop with a bullet through his head ». (ref Robert Capa « traces d’une légende » de Bernard Lebrun et Michel Lefebvre). Dans l’histoire de la photo, cette image est finalement légendée : « le milicien qui tombe ». Il n’est plus question de mort.
Autre élément qui sème le doute dans la vie de reporter de Robert Capa : le débarquement sur la plage d’Omaha Beach en Normandie le 6 juin 1944. RSF n’aborde nulle part la polémique, comme pour ne pas ternir l’image du héros. Il aurait en fait débarqué avec la deuxième vague à 7h 30. Et non pas à 6h30 avec la première vague. Il ne serait resté sur place qu’une demi-heure, ce qui est largement à son honneur. Car que faire de plus en cette plage d’Omaha à moins d’y mourir ? Capa au contraire a rapporté lui-même ses films dont 11 photos seulement seront exploitables mais qui ont valeur de témoignage essentiel. Il n’a pas démérité.
Parmi les « 100 photos pour la liberté de la presse » de Robert Capa, seules une trentaine décrivent des scènes de guerre. L’album présente le travail d’un reporter profondément humaniste vu à travers des scènes de victoire du Front populaire, du Tour de France de 1939, de la vie quotidienne de Pablo Picasso, d’Ernest Hemingway ou de Matisse, ou encore de tournages en compagnie de vedettes du cinéma des années 50.
Même quand Capa photographie la guerre, on y voit toujours la vie. C’est la leçon que tire Cynthia Young, curatrice des archives de Capa : « Les images de Robert Capa rapprochaient les lecteurs de la réalité de la guerre d’Espagne puis de la 2ème guerre mondiale, comme on ne l’avait jamais fait auparavant, avec plus d’action, plus d’information, plus d’émotion ». La revue fait aussi parler John Kerry. Le secrétaire d’Etat américain nous ressort la citation usée de Capa qui fait la joie des écoles de journalisme : « si ta photo n’est pas bonne c’est que tu n’étais pas assez près »

Picasso et Françoise Gilot: 1948 (extrait album RSF.) Patrick Modiano qui évoque le photographe dans un de ses romans, nous donne sans doute l’éclairage le plus réaliste, le plus sobre, le plus sincère et peut-être le plus vrai sur sa personnalité : « Il éprouvait une sorte de mal de vivre et une angoisse qui se mêlaient à une très grande gaieté et une très grande jovialité. Voilà pourquoi sans doute il n’éclatait jamais de rire, mais il gardait les yeux a demi-fermés, la cigarette aux lèvres et son rire était intérieur et silencieux ». Même si les « 100 photos pour la liberté de la presse » n’abordent pas les sujets polémiques qui entachent la mémoire de Robert Capa, il faut se féliciter de la sortie de cet album qui marque le cinquantième numéro de la collection et les trente ans de l’association RSF…
Philippe Rochot
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