top of page

Rwanda-Congo: « La Traversée, une odyssée au cœur de l’Afrique » ou l’aventure vécue de Patrick de S

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 19 mars 2021
  • 6 min de lecture

Le Rwanda ça vous colle à la peau, comme la chaleur moite de l’Afrique des Grands Lacs. Ceux qui ont vu ou vécu les scènes d’un génocide qui a fait plus de 800 000 morts n’oublieront jamais la cruauté, le fanatisme, la fureur qui a emporté les milices, l’armée et une large fraction de la population hutue lors du printemps 1994. Je pense au général Dalaire, commandant des casques bleus de l’ONU, impuissant face aux massacres, marqué à vie et qui raconte sa mission impossible dans un pavé de 500 pages : J’ai serré la main du diable.

Je pense aussi à Jean Hatzfeld, journaliste et témoin, bouleversé face au mécanisme implacable du génocide. Impossible pour l’écrivain d’évacuer pareil cauchemar. Il vient de sortir son sixième ouvrage sur la tragédie du Rwanda, évoquant cette fois les justes qui ont tenté de protéger des Tutsis : « Là où tout se tait ».

Patrick de Saint-Exupéry qui a parcouru le Rwanda avant, pendant et après le génocide et couvert pour Le Figaro les trois mois d’extermination des Tutsis a toujours été choqué par l’attitude de la France qui a soutenu jusqu’au bout un régime qui s’est avéré génocidaire. Il nous présente cette fois une traversée du petit pays, jusqu’au grand Congo. Il apporte ainsi un éclairage essentiel sur les suites du génocide des Tutsis.


Frontière Rwanda-Zaire, 1996. (c) Ph Rochot.

Que s’est-il réellement passé au Zaïre (devenu Congo démocratique) après la fuite d’un million de Hutus : population, armée, milices et génocidaires confondus ? Tous ont pu bénéficier de l’opération humanitaire Turquoise organisée par la France, qui a permis à tout ce monde de gagner le Zaïre.

Faut-il alors croire à la thèse d’un « second génocide » qui aurait vu les Tutsis du Front Patriotique Rwandais, exercer un droit de poursuite sur les Hutus au-delà de la frontière du Rwanda et commettre un massacre de masse dans la région du Kivu au Zaïre ?

Cette version des événements est défendue au plus haut sommet de l’état français, par François Mitterrand qui s’exprime ainsi au sommet franco-africain de Biarritz fin 1994 : « un génocide, mais lequel ? celui des Hutus contre les Tutsis ? Le génocide s’est-il arrêté après la victoire des Tutsis ? Je m’interroge. »

Le chef de l’état était tributaire des rapports effectués par son état-major, très lié au régime du président rwandais Habyarimana. Ils décrivaient Paul Kagamé, chef du FPR réfugié en Ouganda, comme étant « à la tête d’un gang de tueurs de sang-froid, prêt à liquider tous les Hutus pour créer un Tutsiland.


Frontière Rwanda-Zaire: camp de réfugié évacué par les Hutus. 1996. (c) Ph Rochot.

S’il faut des preuves de la connivence entre Paris et le régime rwandais, en voici au moins une : « Après l’attentat contre Habyarimana (son avion est abattu alors qu’il allait se poser à Kigali, ce qui donna le feu vert aux massacres), le gouvernement provisoire s’est constitué dans l’enceinte de l’ambassade de France. Et c’est ce gouvernement qui procède à l’extermination des Tutsis. »

Dans sa Traversée, Saint-Exupéry refait, 25 ans après, l’itinéraire des tueurs et des réfugiés, partant de Kigali, capitale du Rwanda pour gagner Kinshasa, capitale du Congo-Zaire, en mobylette essoufflée, en hélico russe, en pirogue, en barge, en train tiré par une locomotive du début du siècle dernier. Le livre rassemble donc témoignages, découverte et aventure.

L’itinéraire commence au Rwanda avec un passage obligé à Kibeho, au sud du pays, lieu de mémoire où plusieurs milliers de miliciens hutus soutenus par la population ont incendié l’église où s’étaient réfugiés les tutsis durant les premières semaines du génocide de 1994. Scènes au-delà de l’horreur où les enfants ne sont pas épargnés par les flammes et les machettes des assaillants. Un an après le génocide, le problème se pose de nouveau à cause d’un camp de réfugiés hutu, contrôlé par les miliciens génocidaires et les soldats de l’ancien régime d’Habyarimana. Les vainqueurs, les Tutsis du Front Patriotique Rwandais veulent y mettre de l’ordre et démanteler le camp, mais les réfugiés hutus se révoltent, résistent. On parle de 4000 morts. C’est cette affaire qui va lancer la thèse du second génocide et permettra aux autorités françaises de l’époque de dire que finalement tout le monde avait du sang sur les mains, justifiant ainsi le soutien de Paris au régime déchu du président Habyarimana.


Rwanda: sur la route de Goma: 1996. (c) Ph Rochot.

De cette aventure vécue par l’auteur de La Traversée, on attend surtout le passage au Congo (ex-Zaïre). Les événements qui ont suivi la fuite des hutus et de leurs chefs dans la province congolaise du Kivu restent flous. Les témoignages rapportés par Patrick de Saint-Exupéry permettent d’y voir plus clair, notamment sur le devenir de ces quelques 100 000 extrémistes qui au lieu de prendre le chemin du retour au Rwanda après deux ans d’exil, ont choisi de pénétrer plus profondément dans la forêt hostile pour échapper aux représailles des combattants tutsis. Un historien local rencontré sur place décrit ainsi ces hommes : « Ils se sont enfoncés dans la forêt, au-delà du Masisi. C’étaient les plus durs. Ils étaient convaincus d’avoir la mort aux trousses. Ils fuyaient comme si le génocide les poursuivait, comme si une armée de morts s’était levée pour réclamer vengeance. » (Aloïs Tegera, historien anthropologue, présent à Goma.) Saint-Exupéry ajoute : « ces responsables du génocide que les soldats de Turquoise avaient eu ordre de ne pas interpeller furent pris en charge par Mobutu (chef de l’état zaïrois) qui leur accorda protection et assistance. »


Zaïre: soldats zaïrois sur les bords du fleuve. (c) Ph Rochot.

Ce ne fut pas un génocide nous explique l’auteur mais une guerre, avec ses actes de vengeance, ses opérations militaires, ses morts et ses blessés. Il y avait d’un côté les miliciens hutus appuyés par l’armée en déroute de l’ex-président rwandais Habyarimana, de l’autre les hommes de Kagamé, du Front Patriotique Rwandais. Et ce FPR avait le soutien des rebelles zaïrois qui voulaient renverser Mobutu, fidèle allié de la France. Alors des tueries oui, mais on n’était pas dans le cas de figure de l’extermination d’un peuple comme avec les Tutsis du Rwanda au printemps 1994.

L’argument d’un second génocide en marche permit pourtant à la France de poursuivre son soutien à l’armée rwandaise en fuite, lui fournissant armes, aide humanitaire, transport routier ou aérien et également mercenaires, ainsi qu’aux soldats zaïrois. Car dans un second temps il fallait empêcher Mobutu de tomber, face à l’offensive des rebelles congolais. Sur ce terrain la France a échoué, perdant ainsi deux alliés : le Rwandais Habyarimana et le zaïrois Mobutu.


Camp abandonné après le retour des réfugiés hutus au Rwanda. 1996.

La Traversée nous éclaire un peu plus sur la suite du génocide des Tutsis au Rwanda dans une région difficile d’accès et que peu de reporters avaient parcourue jusque-là. De même, pour la première fois un journaliste a pu retracer l’itinéraire de la dépouille de feu le général Habyarimana. De la présidence à Kigali où le corps est exposé après l’attentat contre son avion le 6 avril 1994, sa dépouille traverse la frontière du Zaire-Congo avec les réfugiés pour atteindre Gysenyi où il est entreposé dans le frigo d’une brasserie après avoir été porté en procession dans la petite ville, comme un « martyr » de la cause des Hutus. Il est ensuite transporté à la morgue de Kinshasa puis inhumé dans le fief de son « grand-frère » Mobutu à Gbadolite. Il sera incinéré au bord du fleuve Zaïre grâce à l’aide d’une entreprise indienne habituée à faire bruler les corps de ses employés défunts…


Rwanda: réfugiés ougandais. Le Rwanda accueillit aussi dans les années 1980 des réfugiés ougandais, suite à une guerre civile, alors que c’est d’Ouganda que le FPR préparait sa conquête du pays. 1983. (c) Ph Rochot.

Au-delà de cet itinéraire de Kigali à Kinshasa qui nous permet de remonter le temps et de recueillir des témoignages essentiels, il faut voir dans le livre de Patrick de Saint-Exupéry une redécouverte de l’Afrique post-coloniale avec sa misère et ses nantis, sa corruption, ses abus de pouvoir, son éternelle débrouillardise, son insécurité permanente, son insouciance, son immensité, ses ressources minières lorgnées par d’étranges chinois rencontrés dans la brousse, ses pistes défoncées étouffées par la forêt, ses routes impraticables en saison des pluies, paralysant un pays de 3000 km de long. Et cette vie dans la brousse ou sur le fleuve donne au livre une couleur et une saveur qui nous font oublier quelque temps les pages les plus sombres de l’histoire de cette région d’Afrique.

Philippe Rochot

Comments


  • Twitter Clean
  • Flickr Clean
bottom of page