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Sylvain Tesson et sa Panthère des neiges: Philippe Rochot.

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 27 oct. 2019
  • 4 min de lecture

Il faut réveiller le tigre qui sommeille en nous dit un vieux dicton chinois. Sylvain Tesson lui, veut carrément faire sortir la panthère des neiges de ses repères des hauts-plateaux tibétains, de ses sommets, de ses rochers d’altitude, car elle est une partie de lui-même et de nous-mêmes aussi.


Le territoire de la panthère des neiges entre 4000 et 5000 mètres d’altitude. Népal: (c) Philippe Rochot.

Le livre qu’il nous propose n’est en rien un ouvrage de vie animalière sur un félin en voie de disparition. Il traite surtout de l’homme et de son rapport avec cet animal hors du commun, mystérieux, emblématique, à travers lequel Tesson retrouve même des liens affectifs, comme celui de ses anciennes compagnes. L’auteur croit même deviner les traits de sa mère défunte à travers le « visage » de cet animal qui parfois le fixe et l’interroge ; une sorte de réincarnation dans la plus pure tradition du bouddhisme tibétain : « Quelle âme emprisonnée se tenait-elle sous cette fourrure ? Quand l’once m’était apparue quelques jours plus tôt, j’avais cru reconnaître le visage de feu ma mère : hautes pommettes fendues d’un regard dur. »


Hauts-plateaux tibétains: le territoire de la panthère des neiges. (c) Philippe Rochot

Dans sa recherche de la panthère des neiges, il faut imaginer Tesson heureux. Il avait autrefois parcouru les régions tibétaines où elle se terre, longeant les monts Kunlun à grande vitesse, à VTT, en minibus ou même à pied, forçant le pas pour gagner quelques heures sur l’étape suivante, mais sans jamais voir cet animal dont l’observation demande des jours d’attente et de patience. Le temps passé et les épreuves de la vie, comme son grave accident de 2016 à Chamonix, ont rendu Tesson plus sage, tourné vers le contemplatif, l’attente, l’affût. On le sentait déjà dans son livre « Dans les forêts de Sibérie ». « La Panthère des neiges » ne serait pas, sans Vincent Munier,  photographe animalier de renommée internationale, qui emmène Sylvain Tesson avec lui pour sa 4ème expédition dans la région tibétaine des Kunlun où l’animal règne à plus de 4000 mètres d’altitude. Munier c’est une force de la nature qui résiste à des bivouacs de quinze jours par grand froid pour ramener une photo des loups blancs du Grand Nord. Munier, c’est aussi un photographe qui désigne les animaux de rencontre par leur nom latin et scientifique. Ce Vosgien fait corps avec la vie animalière à tel point qu’il considère les humains comme une catégorie secondaire d’êtres vivants par rapport à des animaux comme la panthère qui existent depuis des dizaines de milliers d’années. Munier voit des créatures là où le commun des mortels, à commencer par Sylvain Tesson passe à côté : « J’avais battu les steppes pendant près de 25 ans, sans déceler 10% de ce que Munier captait… Munier préférait la bête dans l’œilleton de sa jumelle à l’homme en son miroir et ne plaçait pas l’être humain au sommet de la pyramide du vivant. »

panthère livre tesson

Le livre pourrait s’intituler « Eloge de l’affût » car cette discipline ou plutôt cette philosophie fait le bonheur de l’auteur : « Se tenir à l’affût est une ligne de conduite. Ainsi la vie ne passe-t-elle pas l’air de rien. On peut tenir l’affût sous le tilleul en bas de chez soi, devant les nuages du ciel… L’affût était une prière. En regardant l’animal on faisait comme les mystiques. On saluait le souvenir primal. L’art aussi servait à cela : recoller les débris de l’absolu. » L’approche de la panthère est presque un art de vivre, mais quand elle apparaît enfin au prix d’une longue traque et de nuits sans sommeil, c’est bien l’aboutissement d’une démarche que salue Tesson. « Elle avançait plaquée au sol, d’une foulée retenue, chaque muscle convoqué, chaque mouvement maitrisé, mécanique parfaite. Son corps coulait dans les blocs. Les chèvres bleues ne la voyaient pas… Son pelage, marqueterie d’or et de bronze appartenait au jour, à la nuit au ciel et à la terre. Elle avait pris les crêtes, les névés, les ombres de la gorge et le cristal du ciel, l’automne des versants et la neige éternelle, les épines des pentes et les buissons d’armoise, le secret des orages et des nuées d’argent, l’or des teppes et le linceul des glaces, l’agonie des mouflons et le sang des chamois.»

Paris jardin plantes panthère avril 2014 (4)

Panthère des neiges au Jardin des Plantes à Paris, considérée comme espèce à protéger. Il n’en resterait que quelques milliers au monde. Deux bébés panthères sont nés en captivité en oct 2018. (c) Ph Rochot.

Les divagations de Tesson sur la panthère ne lui font pas oublier le cadre de vie où se déroule la traque de ce mystérieux félin : le Tibet et ses hauts-plateaux. Le toit du monde a ses gazelles, ses yacks, ses félins mais aussi ses hommes, ses pèlerins qui font des centaines de kilomètres en se prosternant tous les trois pas, afin de gagner des mérites dans une vie future et qui croient en la réincarnation : « Pour acquérir des mérites dans le cycle des réincarnations, des pénitents arthritiques et chamarrés de scrofules rampaient dans la poussière, les mains protégées par des patins de bois. L’air sentait la mort et l’urine. »


Hauts-plateaux tibétains: pèlerinage vers Lhassa. (c) Ph; Rochot

Avec sa panthère des neiges, Tesson veut se placer en défenseur de notre monde, de la vie animale et des espèces menacées, comme le fait Vincent Munier à travers ses précieuses photos, à tel point qu’il se dit littéralement habité par la panthère. « Quand je fermais les yeux, je voyais sa face de chat hautain, ses traits plissés vers un museau délicat et terrible. J’avais vu la panthère, j’avais volé le feu. Je portais en moi le tison. » Philippe Rochot

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