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Syrie : Au-delà de la mort de Rémi Ochlik, enquête chez les “chasseurs de preuves ” Un l

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 8 juin 2018
  • 5 min de lecture

Remonter le chemin qui conduit à la mort d’un proche peut aider un vivant à surmonter la douleur. On pense à pareille démarche en lisant le livre d’Emilie Blachère, compagne du photographe Rémi Ochlik, tué dans le bombardement d’un misérable « centre de presse » à Homs le 22 février 2012. L’enquête sur la mort de ce reporter d’exception nous conduit à ce quartier de Bab el Amr, encerclé par l’armée régulière où tout média devient une cible idéale pour le régime syrien.

Rémi Ochlik (c) Corentin Fohlen signé

Rémi Ochlik: reportage au Kivu (province du Congo dit démocratique) photo de Corentin Fohlen.

Une maison discrète servait à loger les quelques journalistes de passage entrés clandestinement dans le pays. Les services de renseignement avaient apparemment repéré un signal satellite par lequel les journalistes présents envoyaient leurs reportages et leurs images vers le monde extérieur. La journaliste Marie Colvin qui réalisa la veille un duplex avec deux chaînes de télévision américaines et britanniques allait aussi trouver la mort dans ce bombardement de l’artillerie syrienne. Tous les témoignages concordent pour dire que l’opération visait clairement à faire taire les médias présents à Homs. Ce livre, « Une fleur sur les cadavres » est d’abord le témoignage d’une femme qui veut connaître les circonstances exactes de la mort de son compagnon. Emilie Blahère reconstitue heure par heure le parcours et l’itinéraire qui vont conduire Rémi Ochlik dans ce piège. Elle veut mettre des noms sur les lieux, les gens, les confrères, les témoins, connaître les dates, les heures, les étapes, les itinéraires à travers les tunnels clandestins qui lui ont permis de pénétrer dans Homs, ville assiégée.

Blachère Ochlk TV5 monde capt écran

Emilie  Blachère invitée de TV5Monde De Rémi il ne lui reste qu’un carton cabossé contenant des objets personnels qu’elle a rangés sur une étagère sans vouloir y toucher pendant des mois,.. Elle osera finalement l’ouvrir, montrant ainsi qu’elle est parvenue à faire face à l’événement, à surmonter la douleur et la peine, à « se reconstruire » comme disent les spécialistes en victimologie. Mais cet ouvrage est surtout une enquête étonnante sur la recherche des auteurs de crimes de guerre ou de génocide. Emilie Blachère a voulu aller au-delà de la mort de son compagnon afin de montrer que les responsables étaient aujourd’hui traqués, repérés, fichés. Les conflits du monde ont leurs martyrs, leurs bourreaux et leurs héros. Ils ont aussi leurs justiciers, hommes de l’ombre qui vont chercher au bout de l’enfer indices et témoignages qui permettront de désigner et de traduire les criminels de guerre devant un tribunal international. Ce sont les « chasseurs de preuves ». Emilie Blachère, journaliste elle aussi, pénètre dans ce monde secret et met en avant le rôle de ces enquêteurs courageux afin que ni la mort de son compagnon, ni celle de milliers d’autres citoyens syriens ne reste impunie.


Manifestation à Paris-République contre les exactions du régime syrien et de Daech: 2015. (Ph. Rochot)

Nous avons tous entendu parler de « l’Observatoire syrien des droits de l’homme», officine basée à Londres et qui relève avec justesse et précision le chiffre quotidien des victimes de la guerre en Syrie. Mais connaissez-vous le SNHR (Syrian Network for Human Rights) ? Il recense les disparitions forcées, les viols, les victimes civiles des bombardements et des attaques chimiques… Emilie Blachère nous fait découvrir ses acteurs : près de 5000 personnes dispersées sur le territoire syrien qui collaborent discrètement à cet organisme à leurs risques et périls, presque bénévolement. Entre 2011 et 2016, le SNHR a dénombré les décès de 22 823 femmes. De même connaissez-vous le SAP, Syrian Accountability Project ? Ce programme américain est né au début du conflit syrien à l’université de droit de Syracuse. Il réunit des activistes syriens, des spécialistes en droit humanitaire et en droit des conflits armés, des étudiants, des ONG locales et internationales. Tous bénévoles : chasseurs de preuves mais pas chasseurs de primes.

Manif Syrie Paris mars 2015 (30) (Copier)

En France aussi, des hommes de l’ombre travaillent à la recherche des criminels de guerre de toute nature. Il s’agit d’une vingtaine d’enquêteurs rattachés à un service de la gendarmerie nationale et affublé du titre pesant de « Office Central de Lutte Contre les Crimes contre l’Humanité » (OCLCH). Ses agents traquent notamment les criminels de guerre syriens établis ou de passage en France et recherchent des preuves.

Daech est bien entendu dans le collimateur. Certains états comme le Canada, la Suisse, l’Allemagne ou le Royaume Uni, financent les enquêtes réalisées par des ONG sur les crimes commis par l’Etat islamique. Le nom même de ces organisations est tenu secret. Emilie Blachère les désigne sous un nom d’emprunt. Elle baptisera donc « Centre » ce petit groupe composé d’enquêteurs d’une trentaine d’années, étudiants, juristes, avocats qui dénoncent les exactions de Daech, plus faciles à recenser que celles du régime : « Si le secret est l’arme du régime syrien, la publicité est au contraire celle des combattants de Daech. Crucifixions, décapitations, viols, mutilations, massacres de communautés religieuses, têtes empalées aux grilles d’un rond-point, homosexuels jetés du haut d’un immeuble… »

La compagne de Rémi Ochlik fait parler des femmes de la minorité yézidie. Elles racontent qu’à Mossoul on les avait entassées dans le salon de mariage du Galaxy, un palace construit sous Saddam Hussein afin de les offrir en mariage forcé aux soldats de l’Etat islamique. A la prison de Badouch, les hommes annonçaient carrément aux femmes qu’elles allaient devenir leurs sabayas, leurs esclaves. « Ils prenaient nos voiles et tout ce que nous avions utilisé pour couvrir nos formes Puis nous devions nous asseoir sur une chaise face aux émirs, les acheteurs » disent ces femmes.


Paris: manifestation pour la libération du père jésuite Paolo dall’ Oglio, enlevé en juillet 2013 dans le nord de la Syrie et dont on est sans nouvelles à ce jour.. (Ph Rochot)

L’Etat islamique se vante de ses crimes comme une sorte de défi lancé à la face du monde tandis que le régime syrien rejette toute accusation de torture ou d’exécution sommaire. Mais la vérité finit toujours par éclater grâce à ces chasseurs de preuves comme César dont l’action nous a été révélée avec beaucoup de persévérance et de courage par la journaliste Garence Le Caisne dans son ouvrage « Le dossier César ». « César est le nom de code d’un photographe de la police militaire syrienne qui fit défection en 2013 rappelle Emilie Blachère. Il a réussi à faire passer à l’extérieur des photos d’environ 7000 cadavres décharnés et de corps de détenus suppliciés. Le travail de César se résume à une macabre routine, photographier les corps, rédiger un rapport destiné à la justice militaire, puis recenser les défunts classés selon leur numéro de détention. » L’administration syrienne a les défauts de ses qualités. Elle est précise et pointilleuse. Quand elle recense les victimes des tortionnaires de la police ou des services de renseignement, le « travail » est bien fait. « Jamais depuis le régime nazi ou celui des Khmers rouges, une nation n’avait produit autant de paperasse. L’administration syrienne a pour habitude de retranscrire toutes ses actions sur papier » fait remarquer l’auteure. Mais pareil souci du détail se retourne à présent contre les tortionnaires du régime et pourra servir de preuve à l’avenir. Dans ces conditions y a-t-il une chance de voir un jour Bachar el Assad comparaître devant une Cour pénale internationale, tout comme on a vu Milosevic ou Hissène Habré devant leurs juges ? Les chances sont minces pour Emilie Blachère. Cet organisme n’a de pouvoir que si le pays mis en cause a signé un traité de coopération. Ca n’est pas le cas de la Syrie, ni celui de l’Irak. La Cour ne peut donc enquêter sur place. Il faudrait que le Conseil de Sécurité vote une motion pour laisser les enquêteurs pénétrer en Syrie. On n’en est pas là. Chine et Russie s’opposeront toujours à ce genre de manœuvre. Mais les vétos des grands de ce monde ne seront pas toujours éternels.

Philippe Rochot

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