Tchad : les héros anonymes de José Nicolas: 1980/1997… Ph Rochot.
- Philippe Rochot
- 6 déc. 2018
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Le fleuve Chari. (c) José Nicolas.
Jeunes Goranes dans la région de l’Ennedi. (c) José Nicolas.
« Je n’ai pas voulu montrer les combats, je n’ai pas voulu montrer l’armée française. J’ai vraiment voulu montrer les Tchadiens, à la fois ceux de la capitale et les populations jusqu’à Faya-Largeau. Faya est vraiment pour moi un souvenir d’enfance car le poste de mon père se trouvait dans cette oasis où était basée la garnison française. Il avait 70 soldats africains sous ses ordres, quatre sous-officiers français et il couvrait 450 000 km2. Moi j’étais gamin, j’allais avec les enfants tchadiens à l’école et deux années ont passé comme ça.
Le Tchad et l’éternel “parapluie militaire” français. (c) José Nicolas. C’était super car on était un peu décalés du monde. J’ai le souvenir d’une vie pleine de douceur où le temps n’avait pas de prise sur nous, où je vivais pleinement cette liberté avec le bonheur de l’innocence. Je me suis plus tard engagé dans les parachutistes. Nous avons fait une intervention en 1978 qui a duré trois mois puis en 1980, un séjour de cinq mois sur Abéché, Ati et on a fini à Mongo. Quand on voit que la Tchad est devenu la base arrière de l’armée française en Afrique avec près de 5000 soldats, comment le ressentez-vous ? C’est un peu désespérant car j’ai l’impression qu’il y a deux Tchad. Jusqu’en 1965, le Tchad s’appelait « territoire militaire du Tchad » et je me dis qu’aujourd’hui c’est toujours pareil, c’est toujours un territoire militaire, même avec l’actuel président Idriss Deby. Il y a aussi toute une partie du Tchad qui ne change pas. Est-ce bien ou pas, j’avoue que je ne sais pas trop. Dans le développement du Tchad, des éléments nouveaux sont intervenus avec d’abord l’assèchement du lac et aussi l’influence de Boko Haram dans la région. Quelles sont pour vous les conséquences ? Tout cela menace bien sûr une bonne partie de l’intégrité du Tchad et compromet son développement. Je me souviens qu’en 1980, on se baladait sans problème sur le lac. Il y avait les pirogues, il y avait les prêtres qui étaient là et qui faisaient de l’agriculture ou les gens qui venaient pour la chasse. Et aujourd’hui il n’y a plus rien, même l’économie touristique est à plat. Les chasseurs qui venaient de France ne viennent plus à cause du danger que représente Boko Haram. Les gens qui vivaient de la pêche, qui tiraient leurs ressources de cette vaste étendue d’eau, sont confrontés à l’assèchement du lac. Les prêtres qui étaient là et maintenaient une unité autour de l’agriculture sont partis. Tout cela est un peu désolant.
Ndjaména: prière du vendredi à la grande mosquée. (c) José Nicolas. Quand on voit les nationalités des migrants africains qui arrivent en Europe, il n’y a pas tellement de Tchadiens. Comment expliquer cela ? Le Tchadien aime bien être chez lui ; je parle surtout des gens du Ouedei ou même des Toubous. Les Toubous qu’on rencontre en France par exemple sont des gens qui viennent faire des études mais il y a peu de Tchadiens qui viennent vivre en France. Il faut tenir compte aussi de leur position géographique. S’ils veulent partir ils doivent monter sur la Libye et vu la situation là-bas c’est très difficile. Mais c’est vrai que le résultat est là : peu de Tchadiens, ou de Togolais par exemple migrent vers la France. Il y a des pays africains où peu de gens veulent émigrer. (José Nicolas nous montre l’image d’un tchadien en uniforme.) Lui par exemple, c’était un ancien combattant qui a fait la guerre d’Indochine, un « tirailleur sénégalais » comme on les appelait, même s’il n’était pas Sénégalais… Il s’est battu, il vit aujourd’hui à Faya-Largeau et chaque mois il reçoit sa solde d’ancien combattant. Cela lui permet de faire vivre toute sa famille. On voit très peu d’hommes armés dans vos photos alors qu’au Tchad on en rencontre beaucoup, pourquoi en montrer si peu ? Je n’oublie pas que le mot Gorane, veut dire « l’homme qui n’a peur de rien », mais je n’avais pas envie de montrer des gens armés ; je voulais garder la poésie qui se dégage de ce pays. J’ai photographié Idriss Deby, l’actuel président, quand il était chef d’état-major pendant la bataille de Ouadi Doum en 1987 et qui a entraîné la déroute de l’armée libyenne. Mais prendre en photo des hommes armés n’était pas mon but.
Abéché: l’attente sans fin pour un hypothétique avion… (c) José Nicolas. Je suis allé au Tchad une quinzaine de fois comme photographe et quand j’ai pu faire des images pour moi, j’ai saisi l’occasion. C’est un pays très attachant. J’avais envie de restituer les ambiances et montrer que là-bas le temps n’existait pas. Ce sont des spectacles à l’infini, de 5h du matin à 18h le soir, comme devant le fleuve Chari où j’avais un poste de surveillance avec mon groupe quand j’étais militaire. J’avais mes jumelles mais j’avais aussi un appareil photo. Tous les jours je faisais mes images et c’était fantastique.
José Nicolas montrant sa photo de la palmeraie de Faya-Largeau. (c) José Nicolas. José Nicolas a découvert la photo, au contact des reporters venus couvrir les opérations militaires auxquelles il participait. Blessé à Beyrouth en 1983, il a été réformé mais il a troqué les armes contre l’appareil photo. Il couvrira l’actualité dans de nombreux pays, Liban, Bosnie, Afghanistan, Irak et plusieurs pays d’Afrique pour l’agence de photo Sipa mais aussi pour les associations humanitaires comme Médecins du Monde. Le Tchad l’a marqué par ses paysages et ses populations. Notre confrère Pierre Haski, autrefois correspondant et reporter de l’Agence France Presse pour l’Afrique, signe la préface de cet ouvrage et donne le ton du livre en évoquant lui aussi sa propre expérience.
Tchad : 1980-1997 : photographies de José Nicolas. Des héros anonymes : 35€ Edition Imogene
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