Tromelin: l’île aux esclaves oubliés… (Musée de l’Homme) Ph Rochot
- Philippe Rochot
- 14 févr. 2019
- 4 min de lecture
L’exposition « Tromelin, l’île des esclaves oubliés » est aujourd’hui ancrée au musée de l’Homme. Cet épisode incroyable de l’histoire de l’esclavage qui vit des hommes et des femmes attendre durant quinze années un navire de secours, termine son itinérance à Paris pour les 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Le visiteur passionné passe en général à côté d’une photo symbolique exposée en fin de parcours : celle de migrants bloqués en Grèce qui manifestent contre l’esclavage dont ils estiment être victimes. Le parallèle est donc fait entre la situation de ces hommes qui fuient les conflits actuels, la misère ou les persécutions et ces 80 esclaves abandonnés en 1761 sur une île perdue de l’océan indien dont le sort ne préoccupa guère les autorités françaises de l’époque. Et pourtant, dans cette société du XVIIIème siècle, il existait aussi des hommes qui voulaient sauver d’autres hommes, même s’il s’agissait d’esclaves. Ce sera le cas du capitaine Castellan du Vernet, commandant en second de l’Utile, ce navire marchand qui abandonna les esclaves après son naufrage sur un îlot perdu à 500 km de Madagascar. Ce sera aussi le cas de Jacques Marie de Tromelin qui prit la mer quinze ans plus tard pour tenter de retrouver des survivants à bord de la Dauphine, une sorte d’Aquarius avant l’heure. Il donnera son nom à cette îlot du bout du monde. Mais il faut revenir en arrière.

L’île de Tromelin aujourd’hui avec sa piste d’aéroport. Photo de Nelly Gravier.
Nous sommes en 1760 et un superbe trois-mâts, appartenant à la compagnie de Indes orientales quitte Bayonne pour gagner l’océan indien avec un équipage de 142 hommes. Il charge d’abord des bœufs (zébus) lors de sa première escale à Port-Louis (actuelle île Maurice). Il n’est pas censé faire du commerce d’esclaves. Pareil trafic lui est même interdit car c’est un navire marchand. Mais la tentation est trop forte pour le capitaine Lafargue qui fait embarquer 160 esclaves à Madagascar avec la ferme intention de les revendre au prix fort sur l’île Maurice.
L’Utile n’atteindra jamais cette destination. La mauvaise connaissance des courants, l’usage de cartes maritimes très approximatives, une navigation de nuit sans visibilité et l’entêtement d’un capitaine sans scrupules, provoquent le naufrage du navire sur l’Île des Sables. C’est un îlot désert et inhospitalier, battu par les flots, les tempêtes, les cyclones. Des marins se noient en essayant de gagner la côte. Une cinquantaine d’esclaves enfermés en cale périssent. Les autres seront libérés par la rupture de la coque sur les rochers et pourront gagner l’île. Le gouvernail est cassé, le navire à moitié brisé. L’équipage abat les mats, démonte les canons qui sont jetés à la mer pour alléger la charge mais le navire ne pourra pas reprendre la mer.

L’Utile ressemblait à ce navire. Dessin de Jean Bellis.
Avec les débris de l’Utile les survivants vont bâtir une embarcation de fortune, incertaine, fragile. Elle ne pourra prendre à son bord que l’équipage français qui tant bien que mal pourra gagner Madagascar. Les 80 esclaves, qui ont pourtant participé à la construction de ce bateau de secours, ne seront pas embarqués mais promesse leur est faite qu’un navire viendra les chercher…

La vie sur l’île de Tromelin: dessin de Sylvain Savoia qui accompagna l’expédition de 2006.
Dès lors la vie s’organise sur cet îlot d’1 km de long. En creusant un puits à cinq mètres de profondeur, les hommes ont trouvé de l’eau potable. Les poissons, les tortues, les oiseaux, les insectes, les reptiles fournissent une alimentation suffisante pour tenir. Sur cette île fouettée par les vents, les tempêtes, balayée en saison par les cyclones, régulièrement envahie par les flots il n’y a pas d’abri et le point culminant est à 7 mètres de hauteur. Durant les premières semaines, les esclaves s’abritent sous des semblants de tentes fabriquées à l’aide des voiles du bateau ; puis ils construisent des abris en dur avec les coraux et les galets de l’île. Pareille entreprise montre leur volonté de survie car dans la culture malgache, seuls les morts peuvent être placés dans des demeures de pierre.

Objets retrouvés sur l’ïle et fabriqués par les esclaves. (Photo de Jacques Kuyten)
Une sorte de mini-société s’est ainsi créée sur l’île avec ses lois, ses règles. Régulièrement la mer rejette des objets appartenant au bateau. Alors les hommes les façonnent pour en faire des outils, des récipients, des instruments pour cuisiner et même un four pour cuire la nourriture. Ils fabriquent aussi des parures de femmes, des bracelets et des colliers. Ces traces de vie ont été retrouvées par quatre missions de l’Institut national de recherches archéologiques (INRAP) qui a lancé des fouilles en 2000 afin de connaître la vie et la survie de ces habitants. Ce sont les résultats de ces travaux qui sont présentés au musée de l’Homme.

Objet fabriqué par les esclaves de l’ïle de Tromelin. ( Photo de Jacques Kuyten.)
Figurent aussi des lettres d’écrivains demandant à la cour de Louis XVI d’autoriser pareille mission ainsi que la supplique émouvante du capitaine Castellan du Vernet qui avait promis aux esclaves qu’un bateau viendrait les chercher et écrit « au nom de l’humanité ». Ces appels rencontrent peu d’échos. La France sort de la guerre de Sept Ans et la compagnie des Indes a été dissoute. Finalement en 1776, une mission est confiée à Jacques Marie de Tromelin, commandant la Corvette la Dauphine. Sur l’île des Sables qui plus tard portera son nom, il ne trouvera que sept femmes et un bébé de huit mois, qui seront ramenés sur l’île Maurice et confiés au gouverneur. Quant à l’île de Tromelin, elle accueille aujourd’hui une station météorologique ; elle est devenue accessible par les airs grâce à une piste qui balafre l’îlot mais qui est capable d’accueillir de petits avions.
Cet épisode restera dans l’histoire car il déclencha le combat des lumières pour l’abolition de l’esclavage. Faut-il y voir un rapport avec la tragédie des migrants ? Il nous montre aujourd’hui que les bonnes volontés réussissent toujours à s’imposer, face au mépris et à l’indifférence.
Philippe Rochot
Lire la BD de Sylvain Savoia : « les esclaves oubliés de Tromelin » (2015)
Le site du Musée de l’homme.
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