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Visa pour l’image : les migrants, une valeur sûre… Philippe Rochot.

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 4 sept. 2016
  • 4 min de lecture

Île de Lesbos: photo de Aris Messinis. Visa d’or 2016.

Perpignan 4 sept 2016. C’est un secret de polichinelle. Il y a dans les rédactions parisiennes une lassitude des sujets migrants : toujours les mêmes images, les mêmes gens, les mêmes histoires, les mêmes propos. Alors quand on débarque à Visa et qu’on voit que de nombreuses expos tournent encore autour de ce thème, on est prêt à dénoncer un manque évident d’originalité. Mais pareil sentiment est rapidement balayé par la force des images.

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Grèce: île de Lesbos: (c) Aris Messinis. Visa d’or 2016.

C’est avec un sujet « migrants » intitulé « scènes de guerre en zone de paix » que le photoreporter Aris Messinis (AFP) emporte le Visa d’or. Jean-François Leroy le patron du festival a voulu mettre en avant le travail de deux photographes grecs qui ont « planqué » sur l’île de Lesbos, parcours obligé des migrants venus de Turquie. Yannis Behrakis et Aris Messinis nous montrent les visages marqués de ceux qui ont subi l’épreuve d’un voyage à haut risque, les cris de douleurs ou de joie quand ils débarquent sur la plage, les naufragés, les enfants en bas âge qui entrent dans la vie en subissant les souffrances de ce parcours d’obstacles où les adultes eux-mêmes s’effondrent en larmes : du « lourd » qui accroche d’emblée le regard du visiteur ou du spectateur des projections du soir.

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Grèce: île de Lesbos: (c) Yannis Behrakis.

Migrants et réfugiés représentent une “valeur sûre” en photo. On y trouve l’émotion, l’humain, le drame, l’aventure, l’exotisme. Il suffit de suivre ces colonnes de gueux qui forcent les portes des camps de réfugiés qui passent des rideaux de barbelés et marchent dans les champs afin de gagner le cœur de l’Europe, pour d’emblée frapper l’opinion. A juste titre. J’ai encore en souvenir les propos d’un rédacteur en chef me lançant comme instructions avant un départ sur un conflit d’Afrique : « si tu ne peux pas aller au front, fais nous les réfugiés, ça fait toujours de bonnes images !»

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Île de Lesbos: (c) Aris Messinis.

Alors dans cet esprit « Visa » ne s’en prive pas. On retrouve les migrants dans les expos de la presse nationale et internationale, dans les présentations de l’agence Magnum, dans l’expo de Marie Dorigny avec ses « femmes en exil », résultat d’un projet commandé par le parlement européen. Du beau travail, « très graphique » comme on dit dans les milieux autorisés… Dans tous les cas de figure les images sont fortes, les visages très expressifs, souvent en noir et blanc, photographiés de nuit, de loin, de près, avec ou sans barbelés, avec ou sans police, ajoutant une dimension angoissante au drame vécu par ces millions de déracinés.

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Le réfugié: emblème du festival 2016 de Visa pour l’image. Perpignan. (c) Ph Rochot.

« Visa pour l’image » a donc fait un autre choix que celui des rédactions parisiennes. Jean-François Leroy s’avance même en disant : « si les politiques s’étaient autant bougé que les photographes sur le problème des migrants, on en serait pas là » : jugement naïf et sommaire mais sincère et direct. Il est certain que ces photos nous font réfléchir, nous bouleversent. Seront-elles suffisantes pour changer les choses ? L’an passé, l’image du petit Eylan Kurdi, de ce corps d’enfant échoué sur une plage de Turquie a ému l’opinion internationale durant quelques jours sans plus. Elle n’a pas été suffisante pour changer la politique des pays européens concernés en matière d’asile. Mais les photographes ont besoin d’y croire, sans quoi ils se retrouvent en position de voyeurs à « traquer du réfugié » entre l’île de Lesbos et la Macédoine… Aris Messinis confie : « souvent je lâche mon boitier et j’aide ». Et ça nous rassure car lorsqu’on voit des images en gros plan de personnes au bord de la noyade, on se pose la question : le photographe a t-il tendu la main ? Yannis Behrakis, qui suit les réfugiés d’Europe depuis plus de deux décennies écrit avec optimisme: « je souhaite que mon travail crée un lien et suscite un sentiment de responsabilité partagée envers ceux qui ont le malheur d’être pris au piège dans leur pays ».

Migrants crossing the border from Serbia into Hungary.

Warren Richardson: World press photo exposé à Visa. Migrants franchissant la frontière entre Serbie et Hongrie. 2015.


« Visa 2016 » consacre plus d’images au problème des réfugiés qu’à celui des conflits qui en sont la source. On l’explique : il est plus difficile de couvrir les zones de guerre en particulier les régions contrôlées par Daech. Mais Visa est l’occasion de montrer le travail des huit photographes syriens qui alimentent en images le fil de l’Agence France Presse avec leurs témoignages sur la guerre : les barils d’explosifs largués sur les villes, la vie des populations… Dans ses diaporamas du soir le festival nous livre le catalogue-photo interminable des attentats de par le monde qui portent la signature de « Daech » comme si la bonne photo de reportage devait être celle de l’atrocité qui rendrait ringard tout événement positif. Visa se replie la plupart du temps sur ces cortèges éternels de misère, de douleurs, d’épidémies, de catastrophes pour illustrer la marche du monde et on peut le regretter. Tout événement positif semblerait incongru, déplacé. Seule la saga des JO de Rio illustrée par les photographes AFP apporte un élément d’optimisme. Parfois il devient rassurant de penser qu’il existe aussi quelque part un Prix baptisé « Reporters d’espoir ».

Philippe Rochot

PS: Aris Messinis Visa d’or 2016 est responsable de la photo au bureau de l’AFP à Athènes. Agé de 39 ans il a déjà reçu en 2012 le prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre. Pour sa couverture du conflit libyen.

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