Arles 2018: les nouveaux défis des Rencontres de la photographie. Ph Rochot
- Philippe Rochot
- 10 août 2018
- 6 min de lecture
Le bambou absorbe la chaleur et fait régner une fraîcheur appréciée sur ce site écrasé de soleil le long des rives du Rhône. Dans les régions amazoniennes on appelle ce genre de construction un maloca. Les Rencontres de la Photographie ont donné carte blanche à l’architecte Simon Vélez pour bâtir cet édifice de bambous, lieu de vie traditionnel des peuples de l’Orénoque.

L’exposition de cinquante photos noir et blanc de Matthieu Ricard baptisée « Contemplations » s’accorde parfaitement avec ce lieu de paix même si nous avons l’impression d’avoir déjà vu ces images quelque part sur les rayons des enseignes de Yellow Corner ou dans des festivals comme celui de Vendôme. Mais dans ce cadre, elles prennent une nouvelle dimension et les rencontres d’Arles retrouvent leur véritable vocation.

L’impression de malaise est donc réelle quand on pénètre sur le site des anciens ateliers de la SNCF qui ont accueilli les expositions depuis la création du festival. Pour le visiteur qui n’a pas revu l’endroit depuis trois ans la surprise est de taille. La fondation Luma, à présent propriétaire des lieux se taille la part du lion dans un vaste chantier qui laisse émerger une tour de neuf étages à l’architecture alambiquée qui tranche avec les toits de tuiles rondes et rouges de cette porte d’entrée de la Camargue. « Le bâtiment est très novateur et s’inscrit totalement dans les lieux et dans leur histoire » affirme pourtant la fondatrice de Luma, Maya Hoffmann (itv L’Express) . Elle se félicite du travail de l’architecte Frank Gehry qui se serait inspiré des sites romains et des tableaux de Van Gogh pour arriver à cet étrange bâtiment sans harmonie. Facile de constater ici à quel point Luma, « Centre de recherche de l’art contemporain » bouscule les rencontres photographiques d’Arles et les domine par sa force de frappe financière, politique et artistique.

“The train”, le dernier voyage de Bob Kennedy (c) Paul Fusco.
Un seul atelier du site SNCF, celui des Forges, porte encore l’étiquette des « Rencontres photographiques d’Arles ». Il accueille avec bonheur cette année l’exposition « The train » consacrée au dernier voyage de Bob Kennedy, autrement dit ce convoi ferroviaire qui transporta la dépouille du candidat républicain, de New-York à Washington vers le cimetière d’Arlington, après son assassinat dans un grand hôtel de Los Angeles en 1968. Le photographe Paul Fusco qui se trouvait à bord réalisa plus de mille clichés (argentiques bien sûr): familles devant leurs domiciles regardant le convoi, paysans arrêtant le labeur pour saluer la dépouille, cyclistes et motards marquant l’arrêt le long de la voie pour un bref recueillement, attroupements improvisés et silencieux. Tel fut l’adieu de l’Amérique à Bob Kennedy. Mais l’expo va plus loin en exploitant les images réalisées par les habitants vivant le long de la voie ferrée et en présentant un film qui reconstitue le parcours de ce train des adieux qui mit huit heures pour couvrir les quelque 300 km entre New-York et Washington.
Une certaine Amérique est représentée aux Rencontres d’Arles avec d’abord deux valeurs sûres, Robert Frank et ses photos d’une société américaine qu’il sait si bien approcher et notre Depardon national qui saisit aussi bien Richard Nixon que les gens de New York et dont les paysages américains, moitié ciel moitié terre, pourraient rivaliser avec les paysages en noir et blanc du célèbre photographe Ansel Adams.

Slab city: (c) Laura Hennoi.
Derrière les photos de Laura Hennoi, il y avait une très bonne idée : la vie quotidienne des marginaux installés dans la cité perdue de Slab city en Californie : une localité qui ne figure sur aucune carte. Mais ces portraits de vie réalisés à la chambre ont tendance à figer toute vie, toute action.

Arles, le cloître Saint-Trophime. Tout le monde n’a pas l’honneur d’exposer dans un lieu aussi prestigieux. (c) Ph Rochot.
Les visiteurs des Rencontres d’Arles ont apparemment apprécié les photos grand format du britannique Paul Graham vivant à New York et intitulées « La blancheur de la baleine », images de vie américaine prises entre 1998 et 2011 mais à mon sens pas assez ciblées, trop dispersées, avec au bout du compte un message qui ne passe pas…Cette exposition a pourtant les honneurs de l’église des Frères prêcheurs ce qui est une marque de reconnaissance. Car avec la perte des ateliers SNCF , les Rencontres d’Arles cherchent des espaces. Désespérément. Le moindre appartement en chantier est parfois exploité. Des salles exiguës affichant des expos médiocres et mal éclairées où règne une odeur tenace ne font pas grimper le niveau du festival. Sam Stourdzé se vante d’aligner cinquante expositions aux rencontres d’Arles 2018 mais mieux vaudrait en présenter vingt cinq de bonne qualité dans les quelques lieux grandioses encore à disposition plutôt que cette liste impressionnante qui laisse une impression globale de confusion.

Joam Colom: prostituée Barcelone. (c) Joam Colom.
Jane Atwood par exemple méritait plus d’espace avec ses photos du Pigalle des années 1970 montrant les trans et les prostituées, souvent des étrangères ayant fui les pays où l’on rejette les transgenres et qui se retrouvent là entre Pigalle et le bois de Boulogne à chercher le client. Les Rencontres d’Arles mettent en parallèle les clichés de Joam Colom pris vingt ans plus tard mais à Barcelone cette fois, dans les années 1990-2000. La comparaison est intéressante. Dans cet Arles 2018 qui semble étouffer sous la chaleur et le manque de place, on expose même au Monoprix de la ville. Il faut traverser le rayon des sous-vêtements féminins pour gagner le premier étage et découvrir l’expo d’Olga Kravets sur la Tchétchénie, une approche osée pour une citoyenne russe, mais un travail instructif et réussi.

Affiche de mai 68. Déjà la campagne contre les médias…
Fallait-il placer des images de mai 68 dans ce festival alors que les expositions qui ont eu lieu à travers la France sur la révolte étudiante n’ont pas rencontré le succès espéré ? Les Rencontres d’Arles ont su dépasser les clichés habituels de Cohn-Bendit face au CRS de la Sorbonne pour nous présenter « ce que faisait la police ». On doit cette recherche à un historien lui-même ancien commissaire. A l’époque, une dizaine de fonctionnaires de la préfecture de Paris étaient chargés de photographier manifestations et manifestants. Très sérieusement ils ont fait des albums avec lieu, date et heure précises, un peu comme des albums souvenirs, qui ont servi aux forces de l’ordre à tirer la leçon des « événements ». Dans la salle d’exposition on entend aussi les conversations-radio des policiers et l’on sent clairement la peur qui gagnait les CRS au moment des charges. Mais l’exposition intitulée « 1968, quelle histoire ! »va bien au delà des barricades parisiennes et montre aussi les clichés essentiels de cette année charnière, entre coup de Prague et guerre du Vietnam.

Les messies de Joan Bendiksen.
Jonas Bendiksen méritait bien d’être exposé en l’église Sainte-Anne pour son fabuleux projet « Le dernier testament » centré sur les « messies », ces prédicateurs des Etats-Unis, du Japon, de Russie ou des Philippines qui se prennent pour des envoyés de Dieu. Le thème est accrocheur et payant et l’artiste ne s’est pas privé de l’exploiter montrant par l’image la force inquiétante de conviction de ces hommes mais aussi leur puissance financière et leur capacité de nuisance face à des populations vulnérables.

Des messies qui se prennent pour Jésus Christ. (c) Jonas Bendiksen.
Une exposition de photos doit raconter une histoire. Je retiendrai celle de Taysir Batniji, ancien habitant de Gaza réfugié en Amérique qui retrace par la photo le parcours de sa famille palestinienne. L’image n’a rien de bouleversant mais on y découvre la transformation de l’identité d’un homme et de sa famille auquel s’ajoutent des témoignages parfois étonnants même si anodins, comme cette remarque gastronomique : « pour manger de vrais plats gazaouis il faut aller chez les exilés d’Amérique et pas à Gaza… »

Les migrants sont devenus un sujet incontournable pour un photographe. On les retrouve donc en Arles avec le travail de Patrick Willocq « Mon histoire c’est l’histoire d’un espoir ». On est accueillis sur les lieux par une voûte réalisée en gilets de sauvetage orange utilisés par ceux qui ont traversé la méditerranée. Il faut retenir ce clin d’œil à la mythologie grecque où Zeus soulève une princesse prénommée Europe. L’auteur reprend le thème en nous montrant la même princesse allongée sur un bateau pneumatique comme celui des migrants traversant la grande bleue…

Au premier étage du musée antique, je retiens l’exposition d’Aurore Valade intitulée « Révoltes intimes » : regards provocateurs sur les choses, combinaisons d’images diverses, de situations sans liens et de citations, confrontation entre l’intime et le public. Le mélange est heureux et c’est sans doute pour ce genre de travail et d’œuvre créatrice que nous venons aux Rencontres d’Arles.
Philippe Rochot
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