Bouquetins des Alpes : le”grand dérangement”. Philippe Rochot
- Philippe Rochot
- 1 mai 2016
- 3 min de lecture
Ils se déplacent par groupes de trente ou quarante à travers le massif des Cerces. C’est la grande migration des bouquetins qui rejoignent leurs quartiers d’été. Le voyage ne dure pas plus de 4 ou 5 jours et s’étend sur une trentaine de km. Certains de ces bouquetins viennent carrément d’Italie. Leurs ancetres sont souvent originaires du Parc du Grand Paradis où la race a retrouve vie.

Bouquetin massif des Cerces: 28 avril 2016. Photos Ph Rochot.
Dans ce massif, les derniers bouquetins d’Europe ont été sauvés de justesse grâce au roi Victor-Emmanuel II en 1850 alors que la race était en voie de disparition, exterminée par des chasseurs sans scrupules. Les comptages de plus en plus précis dans les Alpes donnent à présent une population de 50 000 têtes.

Bouquetins dans le massif des Cerces à la recherche de leur lieu d’estivage: avril 2016. Ph Rochot.
Aujourd’hui les bouquetins sont pistés, tracés, suivis heure par heure au GPS, ce qui permet d’analyser leurs capacités de mouvement. Ils peuvent ainsi parcourir une bonne soixantaine de km simplement pour rejoindre leurs zones d’hivernage. Le déplacement est pour eux synonyme de survie. Le “surpaturage”, la concurrence avec les moutons les obligent à bouger constamment. Il n’y a pas à manger pour tout le monde et parfois la famine s’installe dans la communauté des bouquetins.

Bouquetin à l’aiguille du Lauzet (Cerces) 28 avril 2016. Ph Rochot.
L’hiver 2010 a frappé fort dans le massif des Cerces : 70 bouquetins sont morts de faim et de froid en cet hiver le plus rude depuis 25 ans : chutes de neige précoces, puis redoux, puis gel très fort qui a figé les pâturages dans une carapace de glace jusqu’au printemps. Les bouquetins en étaient réduits à manger des aiguilles de pin sur les branches.

Rassemblement de bouquetins (massif des Cerces) 29 avril 2016: Ph Rochot.
Le massif des Cerces est un territoire fragile pour le bouquetin si on le compare au massif de Belledonne dans l’Isère. On compte en Belledonne un millier de bouquetins alors qu’une vingtaine seulement avaient été lâchés en 1983. Dans les Cerces où les premiers bouquetins ont été introduits en 1960, on ne compte pas plus de 230 ongulés. Les ressources de vie sont clairement en cause.

Combats de bouquetins (massif des cerces) 29 avril 2016: Ph Rochot.
Paradoxalement le massif des cerces est l’un des rares massifs des Alpes où le bouquetin a été épargné par l’épidémie de « lymphadénite caséeuse » ou plus vulgairement « la maladie des abcès » qui sévit depuis trois ans. Il s’agit d’une bactérie qui provoque chez la bête un développement d’abcès internes qui entraînent la mort. Pour cette raison les spécialistes ont multiplié les poses de colliers émetteurs sur les bouquetins pour récupérer plus rapidement les cadavres et pratiquer des autopsies. Car jusque-là aucun remède n’a été trouvé.

Bouquetin au col de la Colombière: hiver 2014. Ph Rochot.
Une autre maladie a décimé la communauté des bouquetins dans le massif de la Colombière en Haute-Savoie : la brucellose. Près de la moitié de la population de bouquetins aurait été exterminée par la maladie d’abord, puis par une opération de grande envergure lancée par l’Office National de la Chasse visant à tuer tous les mâles de plus de cinq ans.. L’objectif final était en fait d’éradiquer la population de bouquetins du massif du Bargy mais face à la colère des associations de défense de la faune en France, l’opération a été suspendue.
Bouquetins des Cerces en action: Ph Rochot
Personne ne peut dire si l’épidémie va se développer ou régresser. Entre les maladies, les hivers trop rudes, le développement du tourisme, le bouquetin est bien chahuté sur notre territoire mais la résistance de cet ongulé sauvage nous montre qu’il résiste facilement à ce « grand dérangement ». Philippe Rochot.
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