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Journalistes demandeurs d’asile : raconter l’attente… (Expo Waiting : Paris Mairie du 10ème) Philipp

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 10 janv. 2018
  • 3 min de lecture

Photo de Mortaza Behbou.

Peut-on raconter l’attente, la photographier et surtout la faire partager par l’image ou la traduire par le texte ? La Maison des Journalistes qui accueille les gens de presse exilés en France a répondu oui en organisant une exposition intitulée Waiting où des journalistes persécutés dans leur pays nous font vivre leur attente pour obtenir un permis de séjour, un logement, être acceptés en France, en Europe. Attente destructrice, humiliante, interminable.


Photos du journaliste afghan Mortaza Behbou.

Un écrivain raconte : « l’attente des rendez-vous et la peur des files d’attente ont consommé mon énergie intellectuelle. Je ne suis plus capable de continuer d’écrire mon nouveau roman ni de relire mon nouveau livre avant impression. » Le journaliste Ahmed el Gabr ne supporte plus ces phases d’espoir et de déception : « mon état psychologique s’est dégradé. Je ressens plus fortement l’échec de mon parcours lorsque je suis debout dans la file d’attente avec des jeunes qui sont habitués au chaos et au manque de civilité. »


L’expo montre pourtant que l’attente est quelque part créatrice. Waiting rassemble le travail d’une dizaine de journalistes demandeurs d’asile qui s’expriment par la photo, la vidéo, l’écrit ou même la sculpture. Je retiens la petite statue qui trône au centre de la pièce, celle du journaliste syrien Abdulrazak Aljumaa : « Pendant toute la période où j’ai attendu mes papiers, ma tête était remplie de cette attente… Cela m’a inspiré pour créer cette sculpture comme une boite aux lettres qui contrôle le cerveau. » D’autres nous livrent des poèmes sur l’attente comme le Soudanais Abdelmoneim Rahmatalla, président de l’Union des Ecrivains, qui crie sa colère face à la paperasserie administrative : « Papier pour boire, papier pour manger, papier d’entrée ou de sortie, papier pour la vie… » Et le poète de s’indigner face à notre mode de vie si différent de celui de son pays d’origine : « Qui sont ces gens qui continuent à humilier l’homme en donnant de la valeur aux chats et aux chiens même après la mort ? »

Mohtaza Behboud (afghanistan) (cop (1)

Voilà un an et demi que le journaliste turc Beraat Gorkus est réfugié en France et trois mois qu’il est hébergé par la Maison des Journalistes. Il se trouvait en vacance en Italie avec sa compagne quand la Turquie a basculé dans le coup d’état de juillet 2016. Nombre de ses confrères ont été arrêtés, son journal Meydan perquisitionné. On lui conseille de ne pas rentrer au pays. Il gagne alors la France et entame les démarches pour demander l’asile : un tunnel qu’il va traduire à l’image par les couloirs du RER A, ce train de banlieue qui le conduit à l’OFPRA, l’Office de Protection des Réfugiés à Fontenay-sous-Bois. Il affrontera trois entretiens qui n’ont toujours pas abouti… et réalisera donc trois vidéos sur ce parcours interminable entre Paris et le siège de l’OFPRA.

Paris Migrants stalingrad 2017

Passage obligé: la plate forme d’accueil des demandeurs d’asile: métro Stalingrad… (Ph Rochot) L’Office de Protection des Réfugiés et Apatrides affirme à qui veut l’entendre que les demandes sont à présent réglées en trois mois mais voilà trois mois que Beraat attend une réponse avec ce sentiment insupportable qu’on ne croit pas son récit. Le journaliste afghan Mortaza Behbou nous livre ses sentiments sur l’attente à travers la photo : celle des camps, celle des enfants insouciants de l’avenir et qui jouent devant les tentes, celle des bateaux en fin de vie qui ont transporté tant de migrants et de demandeurs d’asile. Les commissaires de l’expo, Aurore Nerrinck et Manon Cerrini, estiment que le travail créatif de ces journalistes en exil traduit bien la réalité vécue: « Les œuvres évoquent une attente pathologique, absurde, aliénante, anxiogène, douloureuse, épuisante, synonyme d’immobilité, de déchirure, d’incapacité, d’inutilité, de perte de contrôle… » Car comme le dit la directrice de la Maison des Journalistes, Darline Cothière, l’attente pour les papiers n’est pas la seule attente, reste ensuite le logement, le travail, la venue de la famille etc. Waiting est une expo modeste, réalisée avec peu de moyens et qui ne restera qu’une quinzaine de jours au 4ème étage de la Mairie du 10ème arrondissement. Mais elle atteint son but : nous faire sentir l’attente de ces dizaines de gens de presse qui ont fui leur pays pour avoir dénoncé la corruption, l’injustice, les crimes ou simplement avoir voulu penser autrement.

Philippe Rochot

WAITING : CETTE EXPOSITION COLLECTIVE A ETE PRESENTEE PAR LA MAISON DES JOURNALISTES EN JANVIER 2018. PARTICIPANTS : ABDELMONEIM RAHAMTALLA, ABDULRAZAK ALJUMAA, AHMAD AL GABR, B., BERAAT GOKKUS, HICHAM MANSOURI KUBRA KHADEMI, LARBI GRAÏNE, M., MARIAM MANA, MORTAZA BEHBOUDI, RAHIMA NOORI, SHIYAR KHALEAL

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