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“La France vue d’ici”. Peut-on raconter ce pays en images ? Philippe Rochot.

  • Photo du rédacteur: Philippe Rochot
    Philippe Rochot
  • 31 mars 2017
  • 4 min de lecture

Florence Levillain: “Bains publics” présenté à une classe à la Maison des Métallos à Paris. (Ph Rochot)

—————— Est-il possible de raconter la société française en images ? Certains esprits forts disent que la photo humaniste s’est éteinte avec Willy Ronis et que ce genre est aujourd’hui dépassé. Le projet « La France vue d’ici » semble prouver le contraire. Le pari est né en 2014 à l’initiative de Médiapart et du festival ImageSingulières avec un but : suivre les mutations du pays, aller à la rencontre de tous les milieux sociaux, voir les rapports des gens au travail, les solidarités, les tensions, les oubliés, les chômeurs, les malades, la France d’en bas et pas celle d’en haut…


“La France vue d’ici”: malades d’Alzheimer et petites gens…

Le projet est devenu concret à un mois des présidentielles avec un livre de 360 photos, un site internet régulièrement renouvelé en images et vidéos et une expo : « La France vue d’ici » présentée à la Maison des Métallos à Paris. Pas facile de sélectionner vingt-six sujets quand plus d’un millier ont été présentés. Mais le choix final est le bon. Les photographes nous conduisent vers des situations très simples, inconnues, oubliées mais représentatives de la vie dans la France d’aujourd’hui.


La Peuge”: plongée dans le monde ouvrier de la firme automobile française à Sochaux. La série de Raphaël Helle.   (Ph Rochot)

Je livre ici mes favoris comme le travail du photographe Raphaël Helle intitulé « La Peuge »… Entendez la Peugeot, c’est le surnom donné à ce pilier de l’industrie automobile française dans cette Franche-Comté où le célèbre véhicule est assemblé. C’était un phénomène social, la plus ancienne entreprise d’automobiles de l’hexagone, bâtie au cœur du 19ème siècle. L’usine était un lieu de vie, un monde à part. Elle a gardé son identité mais les personnages ont changé. Raphaël Helle a rencontré les ouvriers des chaînes de montage et des ateliers, passant six mois à leur côté.


Ouvrier de Peugeot en chaine de montage. Surnommé l’Iroquois” par les élèves en visite… (PR)

Finis la casquette et le bleu de travail ; on voit des femmes consciencieuses aux gestes précis et appliqués mais aussi de jeunes manœuvres aux bras tatoués, des punks à la coiffure de sioux, voire même des néo-nazis arborant la croix gammée en famille à leur domicile. Les portraits des ouvriers d’aujourd’hui ne ressemblent guère à ceux d’hier. Le projet abouti de Florence Levillain « Bains publics » a quelque chose de tendre et d’attachant. Il a pour cadre ces établissements souvent vieillots au carrelage fissuré bâtis dans les années trente et qui connaissent un regain de fréquentation. On y rencontre ceux qui n’ont pas de salle de bains à disposition : étudiants, SDF, chômeurs, retraités… L’idée est simple mais bonne. Elle nous fait pénétrer dans une partie de la société que nous côtoyons régulièrement mais sans en mesurer les difficultés de la vie comme le simple geste qui consiste à pouvoir se laver et rester propre.


La série “Bains publics” de Florence Levillain.

Florence Levillain y ajoute une démarche malicieuse. Elle a fixé un appareil photo derrière un miroir sans tain et avec l’accord des clients du bain public, elle saisit leur attitude devant la glace : ouvrier qui retaille avec soin sa moustache, femmes qui rectifient leur allure, SDF qui se recoiffe. C’est surtout le regard de ces gens devant le miroir de cette salle des bains, devant leur propre image, qui nous étonne car on y trouve encore une certaine une lueur d’espoir, une volonté d’ajouter une pointe d’élégance à leur allure parfois misérable. C’est aussi l’occasion de rappeler que 10 millions de personnes en France vivent sous le seuil de pauvreté. J’ai apprécié le monde dans lequel Stephane Lavoué et Catherine Legall nous font pénétrer avec leur série intitulée « A terre ». Les auteurs rencontrent les hommes qui travaillent pour l’industrie de la mer sans jamais monter sur une quelconque embarcation. Ce sont les charpentiers qui fabriquent et réparent les bateaux, les ouvriers des forges maritimes, les fabricants de pains de glace qui serviront à réfrigérer le poisson à bord ou les employés de marée qui trient les retours de pêche. Ils portent tabliers et bottes de caoutchouc, coiffures de protection et lunettes de plastique.


“A terre”, ces gens de la mer qui n’embarquent jamais…

Leurs portraits légèrement sous-exposés nous font pénétrer dans un monde mystérieux, inconnu, peu exploré par les gens d’image mais un monde incontournable puisque pour un pêcheur en mer, il faut quatre employés à terre. A ces projets évoqués il faut ajouter celui de Pierre Tairraz « La mauvaise réputation » traitant des jeunes qui décrochent du milieu scolaire, signaler la série d’Hervé Lequeux intitulée « Une jeunesse française » qui nous conduit à travers les banlieues et quartiers populaires, évoqués comme une balafre sur le territoire. Les vingt-six projets apportent tous un éclairage sur notre société et cet ensemble « la France vue d’ici » donne un sérieux coup de pouce au photoreportage social. Philippe Rochot

Maison des métallos : 94 rue Jean-Pierre Timbaud. Paris 11ème. Jusqu’au 15 avril.


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